En cette nouvelle année 2021, les pratiques sportives sont toujours à l'arrêt. Alors, Philippe Liotard, anthropologue de l'université Claude-Bernard qui anime un module d'expression en première année de licence Staps, a souhaité une évaluation de contrôle continu "qui ait du sens" durant le second confinement, explique-t-il à l'AFP.
À partir du Journal d'un corps de Daniel Pennac, il a demandé à chacun de rédiger son "journal d'un corps confiné", dont la lecture lui a donné "une vision émouvante et inquiétante" des ressentis. Des extraits anonymes ont été publiés sur son blog, reproduits par le site d'information Rue89 Lyon.
"Je n'arrive plus à résister, je craque et je pleure"; "seule toute la journée, j'en deviens folle"; "je n'ai pas de cours aujourd'hui. Je me lamente sur mon lit avec des pensées qui me détruisent", lit-on.
"Tout le monde ne produit pas des textes désespérés. Néanmoins, chaque texte contient des passages, plus ou moins longs, plus ou moins répétitifs, qui indiquent la difficulté à vivre la période", souligne M. Liotard.
"Je déprime. J'en ai marre. J'essaie de tirer du positif de ce confinement mais c'est dur"; "l'ennui est au centre de tout en ce moment"; "en tant qu'ado de 18 ans dans un corps de 1,87 m et 75 kg, c'est compliqué de rester sans rien faire."
Culpabilité
À la perte du lien social s'ajoute le manque de sport : en temps normal, ces étudiants pratiquent six à huit heures par semaine, sans compter leurs activités en club.
S'ils évoquent avec humour l'évaluation de cirque à distance, pour laquelle ils ont dû jouer les acrobates dans leurs chambres en se filmant, l'inaction engendre surtout chez eux "une grosse culpabilité", relève l'enseignant-chercheur.
"Je viens de me lever. Mes os craquent comme si je m'étais réveillé dans le corps d'une personne âgée. Ce confinement est en train de me rouiller", écrit un étudiant.
Les mauvaises habitudes alimentaires sont aussi évoquées: "depuis une semaine, je grignote toute la journée. J'entame à dix heures un paquet de chips puis à onze heures j'enchaîne avec un paquets de bonbons, et tout ça dans ma chambre devant mon écran".
Pour garder la forme, certains suivent des programmes d'exercices en ligne, rapidement dénués de sens. D'autres se lancent des défis - 100 pompes ou 200 abdominaux par jour - confinant parfois à l'auto-punition. "En sortant du lit, je sens des douleurs au dos mais également à la jambe droite", constate une étudiante ayant trop forcé.
Les heures passées à étudier au lit ou derrière un bureau font aussi souffrir: "J'en aurai passé des jours à taper sur ce clavier d'ordinateur (...) À avoir mal aux yeux, à avoir mal au dos, au cou, parce que lorsque je travaille je me tiens mal".
Isolement
L'isolement est très mal vécu, y compris par ceux - la plupart - qui sont rentrés chez leurs parents. Quand les frères et soeurs vont à l'école, les parents au travail, on se retrouve seul à errer dans la maison, "tel un zombie", décrit l'un d'eux.
En travaillant d'abord sur un livre de Georges Perec, Espèces d'espaces, beaucoup avaient idéalisé leur chambre mais de lieu de refuge, celle-ci est vite devenue lieu d'enfermement. "Cela ressort dans tous les textes", observe M. Liotard.
Avec le risque de sombrer dans la détresse. "Je me mords l'intérieur de la lèvre jusqu'au sang et je me gratte la peau de la main jusqu'à ce que l'on voie la chair", lit-on dans le journal d'un de ces corps confinés.
Samedi dernier, un étudiant en droit s'est jeté de la fenêtre de sa chambre universitaire sur le campus de Villeurbanne, qui accueille l'UFR Staps. Quelques jours après, une autre étudiante a tenté de se suicider à Lyon.
"Ces gestes de désespoir ne sont malheureusement pas isolés", soulignent les responsables d'universités et de grandes écoles de la région dans un communiqué publié vendredi.
La reprise des pratiques physiques en demi-groupes, la semaine prochaine, était très attendue par les étudiants. Mais la suspension des activités sportives d'intérieur, annoncée jeudi soir par le gouvernement, a semé le doute.
Avec AFP.
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