Depuis 2 ans, la gouvernance mondiale était orpheline d’un cadre mondial sur la biodiversité. En effet, le « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 » pour la planète, adopté par les Parties à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) de Nagoya en octobre 2010, connu sous le nom des objectifs d’Aichi, était périmé. Le bilan du précédent cadre mondial des Nations Unies pour la diversité biologique 2011-2020 de la COP 10 (Biodiversité) avait d’ailleurs été un fiasco, aucun de ses 20 objectifs n’ayant été atteint(3). Depuis 2018, les Etats et les diplomates travaillaient donc au prochain cadre.
Le Covid-19 a retardé de deux ans la COP 15 sous présidence chinoise, et l’a étalée en une première partie à Kunming dans la province chinoise du Yunnan et une deuxième partie à Montréal. Les détricotages perceptibles lors des premiers jours de négociation multilatérale à Montréal laissaient présager une issue décevante. In fine, le collectif multilatéral, sous la houlette de présidence chinoise, a réussi le tour de force de rehausser le niveau d’ambition dans le sprint final pour aboutir à un accord mondial historique. A la lumière des premiers debriefings(4), dont celui de Sylvie Lemmet, Ambassadrice déléguée à l’Environnement du ministère des Affaires Etrangères, plusieurs éléments clefs sont à souligner :
- Un accord large avec 4 objectifs à 2050 (le dernier incluant les « moyens de mise en œuvre adéquats, y compris des ressources financières ») et 23 cibles pour 2030 ;
- Des cibles quantifiées, avec notamment le double 30x30 : d’ici 2030, qu’« au moins 30% des zones d'écosystèmes terrestres, d'eaux intérieures, côtiers et marins dégradés fassent l'objet d'une restauration effective » (cible 2) et « au moins 30% des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées » (cible 3) ;
- Un objectif mondial ambitieux, arraché de haute lutte, de réduction d’au moins 50% de « l'excès de nutriments perdus dans l'environnement » et du « risque global lié aux pesticides et aux produits chimiques hautement dangereux » (cible 7) ;
- Un devoir des Etats (cf. cible 15, « Prendre des mesures juridiques, administratives ou politiques pour encourager et permettre aux entreprises et aux institutions financières transnationales de contrôler, évaluer et divulguer régulièrement et de manière transparente leurs risques, leurs dépendances et leurs impacts sur la biodiversité, notamment en imposant des exigences à toutes les grandes entreprises, aux entreprises transnationales et aux institutions financières tout au long de leurs opérations, de leurs chaînes d'approvisionnement et de valeur et de leurs portefeuilles ».
Ces niveaux d’ambition préparés depuis 4 ans et notamment poussés par la France et l’Union Européenne constituent ainsi des avancées assez inespérées.
Cet accord reste à ce stade un symbole et garde plusieurs limites :
- Evaluer l’impact que peut avoir une COP ne peut sérieusement se faire qu’avec un recul de plusieurs années voire d’une décennie. Il aura fallu 7 ans pour comprendre que la COP 15 (Climat) de 2009 à Copenhague, qualifiée hâtivement d’échec par la majorité des commentateurs, avait en fait ouvert la voie au succès de la COP 21 de 2015, produisant l’Accord de Paris, entré en vigueur en 2016 ;
- Si le nouveau cadre mondial, Global Biodiversity Framework, GBF, à l’horizon 2030 et 2050, ne peut que faire mieux que le précédent, il ne reste pas moins vrai que, comme pour les accords des COP Climat, l’Accord de Kunming-Montréal n’est contraignant que moralement et repose avant tout sur les politiques nationales de ses 195 Parties ;
- Si cet accord est doté de mécanismes d’accompagnement qui faisaient défaut dans le précédent GBF, ces derniers restent à définir précisément et à mettre en œuvre avec efficacité ;
- Des objectifs jugés importants, notamment par la diplomatie Française, n’ont pas été adoptés, en particulier la réduction de l’empreinte écologique de l’humanité et la référence au cadre des Limites Planétaires, deux cadres conceptuels robustes mais encore trop récents pour atteindre un consensus mondial.
Jean-Guillaume Péladan, Senior Advisor Environment chez Sycomore AM
(1) Bilan à froid après un partage à chaud de retour de Montréal disponible sur le site de Sycomore AM : https://www.youtube.com/watch?v=fNT1E4p3Swk
(2) Texte adopté de 15 pages https://www.cbd.int/doc/c/0bde/b7c0/00c058bbfd77574515f170bd/cop-15-l-25-fr.pdf et résumé par le Ministère de Transition Ecologique sur https://www.ecologie.gouv.fr/cop15-biodiversite-aboutit-accord
(3) Cf. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2020/09/objectifs-daichi-aucun-engagement-pour-sauver-la-biodiversite-na-ete-respecte
(4) Dont le rapport d’Orée, http://www.oree.org/source/_Biodiversite_Economie_Immersion_COP15.pdf