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Entretiens

Face au PIB, des indicateurs alternatifs de prospérité voient le jour

Face à l'urgence climatique, le sacro-saint PIB comme indicateur de prospérité est-il dépassé ? Près d'un siècle après sa création, il demeure indélogeable, estime dans un entretien à l'AFP Marc Fleurbaey, directeur de recherche au CNRS et économiste. Mais les initiatives sociales fleurissent.

Créé en 1934 par l'économiste américain Simon Kuznets, le Produit intérieur brut se base sur la valeur totale des biens et services créés mais il ne rend pas compte de la répartition des richesses ou de l'impact environnemental.

Pourquoi le PIB reste-t-il l'indicateur central de la prospérité malgré les urgences climatiques et sociales ?

C'est un indicateur qui mesure la taille de l'activité économique et il restera toujours pertinent même s'il y a des efforts pour regarder d'autres indicateurs concernant le bien-être, comme l'espérance de vie ou le taux de chômage. Il y a aussi une contrainte politique: il est beaucoup plus facile de gérer un pays en croissance plutôt qu'un pays dans un contexte de stagnation, car en cas de stagnation les conflits de répartition sont beaucoup plus aiguisés.

Si l'on vise une croissance plus réaliste pour tenir compte des contraintes environnementales, cela va obliger à faire un plus grand effort sur la cohésion sociale, le partage de la croissance. Les indicateurs alternatifs ont par ailleurs la difficulté d'être nombreux et je ne pense pas qu'on puisse espérer en avoir un qui vienne remplacer le PIB. Il existe plusieurs approches philosophiques en matière de bien-être et le concept sous-tend des définitions de justice sociale qui ne feront jamais l'objet d'un consensus généralisé.

Comment intégrer alors les outils de bien-être social et environnemental dans la mesure de la prospérité ?

Je ne pense pas que les gouvernements soient obsédés par le PIB, c'est de moins en moins le cas, et certains intègrent des priorités assez fortes sur le bien-être comme la Nouvelle-Zélande ou le Bouthan. Je plaide pour qu'il y ait une batterie d'indicateurs qui illustrent les différentes approches. Il ne s'agit pas une question d'indicateur principal et d'indicateurs secondaires, il faut le voir comme un tableau où l'on intègre de plus en plus de colonnes.

Les choses sont en train d'évoluer, les gens ont tout à fait conscience du fait qu'on ne peut plus en rester à la croissance à tout prix sans regarder les conséquences sur l'environnement et la cohésion sociale. Des progrès ont été réalisés depuis la Commission Stiglitz (une initiative en 2008 présidée par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et dont M. Fleurbaey a été membre, chargée d'élaborer de nouveaux indicateurs de richesse), notamment par l'Insee en France et Eurostat. Juste avant l'invasion de l'Ukraine, l'ONU avait lancé une initiative appelée "Beyond GDP" (au-delà du PIB). Tout cela est en cours et les choses bougent énormément.

De quels instruments dispose-t-on aujourd'hui ?

Il faut distinguer ceux liés au bien-être et ceux liés au développement durable car on ne peut pas évaluer la situation présente et les perspectives futures en un seul chiffre, un des points sur lesquels la commission Stiglitz a été assez ferme. La mesure du bien-être se calcule grâce à des indicateurs objectifs, tels que l'IDH (Indice de développement humain) qui prend en compte l'espérance de vie ou la scolarisation, l'Indicateur de pauvreté multidimensionnelle, ou le Better Life Index de l'OCDE et ses onze critères. Une approche plus subjective existe aussi au travers d'enquêtes de satisfaction ou de bonheur mais la comparabilité, notamment à long terme, est plus sujette à caution. Sur la soutenabilité (développement durable), l'empreinte écologique est l'indicateur le plus connu malgré ses défauts méthodologiques. Les travaux sur les limitations planétaires ("Planetary Boundaries") montent en puissance. D'autres indicateurs se développent de façon un plus confidentielle, comme l'Environmental Performance Index de l'université américaine Yale.

Avec AFP.