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ISR : mode d'emploi (3/3)

L’ISR rapporte-il autant qu’un investissement classique ?

La crainte d’une sous-performance financière induite par la réduction volontaire de l’univers d’investissement constitue encore aujourd’hui l’un des principaux freins à l’essor de l’ISR, pointent régulièrement les enquêtes menées sur le sujet. Pourtant, la littérature académique et de nombreuses études réalisées par des acteurs financiers tendent depuis maintenant plusieurs décennies à démontrer que la prise en compte de critères ESG n’entraine pas systématiquement une rentabilité inférieure, même si la grande variété de stratégies empêche de tirer des conclusions absolues.

Il est donc tout à fait possible de trouver des fonds ISR affichant des performances comparables, voire supérieures à celles des fonds classiques de même catégorie. L’intégration de critères ESG pourrait d’ailleurs à terme avoir un impact bien réel sur le rendement, affirment aujourd’hui de nombreux tenants de l’ISR, puisqu’elle permettrait, quand elle est bien menée, une meilleure compréhension des émetteurs et de leurs activités, et contribuerait par exemple à l’identification de facteurs de risques parfois ignorés de l’analyse financière classique. Mais également d’opportunités de long terme liées par exemple à la transition énergétique.

Pour aller plus loin : Investir Durable #1 : L'ISR tient-il ses promesses ? 

Comment expliquer la meilleure performance des fonds ISR depuis le début de la crise sanitaire ?

Coline Pavot, responsable de la recherche ESG à La Financière de l’Echiquier : 

Les facteurs de la surperformance de l'ISR sont multiples. Tout d’abord, les fonds ISR, en général absents des secteurs les plus impactés par la crise, comme les énergies fossiles ou le transport aérien, sont en revanche davantage exposés à des secteurs de croissance ou portés par la crise comme la santé. Les investisseurs ne s’y sont pas trompés : les flux d’achats se dirigent de plus en plus vers les valeurs aux meilleures notes ESG (+30 milliards d’euros selon Morningstar).

Ensuite, ils sont constitués de valeurs de qualité, dotées de bilans solides, perçues comme des valeurs refuges dans un contexte de liquidité élevée. Leur surperformance lors de la crise a confirmé les résultats de l’étude ISR et Performance by LFDE publiée en 20191 et actualisée au 31.03.2020, qui a démontré que le portefeuille des meilleurs profils ESG a généré en 10 ans2 une performance 3,8 fois supérieure à celui comportant les pires profils ESG. Un écart qui s'est accentué puisqu'il était de 2,6 fois fin 2019.

Enfin, l'autre atout est la bonne gestion des risques extra-financiers. Les entreprises qui déploient des politiques environnementales et/ou de protection de leurs salariés et clients se sont avérées mieux positionnées et résilientes pour faire face à une crise de cette ampleur et rebondir rapidement.

Comment mesurer l’impact réel de l’ISR ?

C’est l’autre grande interrogation associée à l’ISR, et les enjeux sont nombreux : soupçons de greenwashing, attentes grandissantes des clients, autant institutionnels qu’individuels, cadre réglementaire de plus en plus insistant... L’investissement socialement responsable est plus que jamais dans la nécessité de prouver la valeur ajoutée de ses process. Pour ce faire, les acteurs du secteur doivent identifier des indicateurs fiables et lisibles qui permettent notamment de comparer l’impact réel des portefeuilles ISR à celui de fonds classiques ou d’indices de référence.

L’exercice toutefois reste complexe, car les indicateurs retenus ne sont pas toujours pertinents et présentent parfois une grande hétérogénéité, rendant difficile l’agrégation au niveau des portefeuilles, si bien que la question d’une éventuelle harmonisation revient régulièrement sur la table. Dans un tel cadre, de nombreuses initiatives émergent et les 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU, que s’attribuent également de plus en plus les entreprises dans leur communication RSE, composent désormais un socle de référence pour de nombreux acteurs. Enfin, il reste important de noter que les objectifs en matière d’impact dépendent fortement des approches adoptées et des philosophies propres à chaque fonds.

Pour aller plus loin : Investir Durable #2 : L'ISR à l'heure du crash-test 

Quels sont les grands changements règlementaires qui pourraient impacter l’industrie de la gestion dans les prochaines années en faveur de la finance verte ?

Ophélie Mortier, responsable de la stratégie ISR chez Degroof Petercam Asset Management : 

L’article 173 de la loi sur la transition énergétique en France, d’une part, et le Plan d’action de la finance durable de la Com- mission Juncker au niveau européen, d’autre part, ont marqué un premier bouleversement réglementaire dans la finance verte. En 2015, les investisseurs français se voient contraints de publier de nouvelles données extra financières en y incluant leur contribution à la transition énergétique alors que le plan d’action imposait en mai 2018 l’intégration des facteurs ESG dans les processus d’investissements institutionnels.

La taxonomie verte marque un second tournant dans l’histoire de la finance verte, du moins en Europe et vise avant tout à lutter contre le greenwashing en imposant des normes minimales pour une meilleure visibilité du marché. Cependant, la complexité des indicateurs environnementaux par ladite taxonomie et autre réglementation en cours constitue un jargon technique quasi hermétique pour l’investisseur privé et peu maîtrisé par les investisseurs professionnels.

Le manque de disponibilité des données risque de créer un fossé entre les entreprises championnes de la communication et disposant des moyens nécessaires pour alimenter des bases de données diverses et les acteurs de projets très concrets, typiquement de taille plus modeste ne disposant pas nécessairement de tout l’éventail d’indicateurs requis par les autorités. La lourdeur de rapport et la chasse à la donnée, encore rare, vont-elles conduire à une finance verte réservée uniquement aux grandes institutions capables de payer la donnée à reporter, qu’importe finalement son exactitude et sa prédictibilité ?

De plus, l’obligation de rapporter sur l’alignement d’un portefeuille vis-à-vis de la taxonomie verte peut conduire à des biais pervers d’acquisitions, de fusions, de ventes d’activités d’entreprises afin d’augmenter organiquement son potentiel d’alignement.

Entre un minimum de "règles du jeu" pour une expertise qui est devenue ces dernières années « mainstream » et requiert donc certains standards, garantissant sa crédibilité et professionnalisme et le risque de lourdeur administrative de reportings inadéquats, imparfaits et voire obsolètes, les régulateurs font face à un défi de taille. En s’entourant des experts du terrain et profitant du cercle vertueux de l’ESG globalement, les investisseurs de tous types peuvent avoir un cadre pour une compréhension sans équivoque de ce que leurs portefeuilles financent.

Quelles sont les obligations pour les investisseurs ?

En France, les sociétés de gestion ainsi que les investisseurs institutionnels sont tenus de produire, depuis l’adoption de l’article 173-VI de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, des informations sur l’intégration du risque climatique dans leurs stratégies d’investissement. Cet article demande également de rendre des comptes sur les moyens déployés pour l’intégration des enjeux ESG et sur l’impact de cette intégration sur les performances ESG des investissements. Ce notamment afin de "favoriser le développement d’approches diverses (...) et de contribuer à l’émergence de meilleures pratiques", et permettre une meilleure lisibilité pour les investisseurs non professionnels.

Peut-on imaginer qu’un jour, tous les fonds seront ISR ? Serait-ce même souhaitable ?

Anne-Claire Impériale, co-responsable de la recherche ESG chez Sycomore AM : 

Il est bien sûr souhaitable que tous les fonds intègrent les enjeux du développement durable afin de limiter les investissements vers des activités destructrices de capital naturel, social ou sociétal et de favoriser l’orientation des investissements vers les solutions aux défis environnementaux et sociétaux.

À l’heure actuelle, la réglementation française incite les investisseurs à considérer les enjeux ESG dans leurs décisions d’investissement, en exigeant qu’ils rendent compte de la façon dont ces derniers sont intégrés dans les fonds, qu’ils soient qualifiés d’investissement responsable ou non. L’Investissement Socialement Responsable va au-delà de la simple analyse des enjeux ESG, car il implique une sélection et suppose l’exclusion d’une partie des entreprises de l’univers d’investissement, qui ne remplissent pas les critères ESG fixés.

Si l’intégration des critères ESG se démocratise, l’ISR reste encore limité mais en forte croissance. Cette progression est souhaitable pour financer le développement durable tel que défini par les ODDs de l’ONU, mais doit s’accompagner d’une transformation des entreprises afin qu’elles soient de plus en plus nombreuses à pouvoir intégrer des fonds ISR.

Cela doit aussi se faire en clarifiant l’offre ISR pour l’épargnant. Nous sommes ainsi favorables à la montée en puissance du label ISR, qui permet d’assurer un niveau d’exigence minimum commun à tous les fonds ISR, mais aussi de labels plus restrictifs tel que le label Greenfin qui assure l’orientation des investissements vers des activités vertes.

 Retrouvez l'intégralité d'Investir Durable #7, le magazine de la finance durable. 

 

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