Analyses

ISR : les sociétés de gestion au défi de l'impact, le cas de la Banque Postale AM

En raison de l'évolution du cadre réglementaire et des attentes d'investisseurs toujours plus soucieux de vérifier l'impact réel de leurs investissements sur la société et l'environnement, les sociétés de gestion ont désormais tout intérêt à fournir une information fiable, lisible et transparente sur la performance dite extra-financière de leurs fonds se réclamant de l'ISR, sous peine d'être taxées de greenwashing. Ahmed Kassmi, gérant chez La Banque Postale AM, revient sur la méthodologie maison. 

Quels sont les enjeux liés à la mesure de la performance extra-financière  ?

La performance extra-financière est la différence entre l’ISR et la gestion traditionnelle. Les fonds ISR ont les mêmes objectifs de performance financière que les autres fonds et doivent permettre de donner du sens à l’investissement, en favorisant les entreprises ayant les meilleures pratiques ESG. La publication d’indicateurs extra-financiers démontre la réelle prise en compte des enjeux de développement durable dans les choix d’investissement. L’engagement 100% ISR de LBPAM s’inscrit dans le cadre du Label ISR Public. Celui-ci exige la publication de mesures d’impact sur l’environnement, le social, la gouvernance et les droits de l’Homme.

Comment évaluez-vous aujourd'hui cette performance à l'échelle des portefeuilles ? 

En réponse aux grands enjeux du développement durable, LBPAM a développé une philosophie ISR unique qui repose sur quatre piliers : GREaT. La notation ISR de chaque portefeuille et huit indicateurs extra-financiers sont précisés dans les reportings mensuels pour chacun des piliers GREaT :

  • Gouvernance responsable (G) : taux d’indépendance et de féminisation des Conseils d’Administration
  • gestion durable des Ressources humaines et naturelles (R) : taux d’accidentologie et consommation et gestion de l’eau
  • transition économique et Energétique (E) : intensité carbone et pourcentage du portefeuille investi dans des thématiques durables
  • développement des Territoires (T) : taux de formation des salariés et engagement au Pacte Mondial de l’ONU

Comment vous procurez-vous la donnée ? 

Nous utilisons les données fournies par les grandes agences de notations ESG (MSCI, Vigeo-Eiris, Asset 4) ou spécialisées sur le climat (Trucost, CDP) par émetteur. Ces informations sont ensuite agrégées pour le portefeuille et son benchmark. Parce que toutes les données ne sont pas disponibles pour tous les émetteurs, nous retraitons le résultat sur la base des entreprises pour lesquelles l’information est disponible. Le taux de couverture de l’indicateur dans le portefeuille et le benchmark est systématiquement indiqué dans le reporting du fonds.

Quelles sont les limites liées à un tel exercice ? 

La disponibilité de données harmonisées est la principale contrainte à la mesure d’impact. Certains pays, comme la France, ont créé un cadre réglementaire pour inciter les grandes et moyennes entreprises à publier des informations extra-financières auditées (social/environnemental/sociétal). Si cela facilite l’accès à ces données, elles doivent être élargies aux entreprises de plus petites capitalisations et être harmonisées entre elles, quel que soit le pays.

Par exemple, le taux de couverture pour nos indicateurs sur la sécurité ou la formation des salariés reste bien en-dessous des autres métriques de performance extra-financière.

Par ailleurs, le Label ISR public exige de publier un indicateur sur les droits humains pour lequel il est difficile de trouver des indicateurs comparables, exhaustifs et pertinents sur l’ensemble des émetteurs.

Les Objectifs de Développement Durable de l'ONU apparaissent de plus en plus régulièrement dans les reportings extra-financiers des sociétés de gestion. Comment les intégrez-vous ? 

Objectifs représentant initialement les cibles à atteindre par les Etats à horizon 2030, les ODD sont de plus en plus visés par les entreprises. Ils nous permettent de comparer la réalité des marchés financiers au regard de la volonté d’inciter les acteurs privés à agir en faveur du développement durable. LBPAM a mis en place une gestion engagée dont l’objectif est de financer et d’investir dans les entreprises qui ont un impact positif sur les grands enjeux de notre société. En ce sens, des ODD « investissables » ont été identifiés, c’est-à-dire ceux qui se traduisent par une offre de produits et services ayant un impact mesurable et ils contribuent à déterminer notre univers d’investissement sur les marchés actions et obligataires. Nous réfléchissons à l’intégration des ODD dans nos reportings de performance extra-financière.

Par ailleurs, nous finalisons notre politique climat afin d’inscrire notre gestion dans la trajectoire 1.5° telle que préconisée par le rapport du GIEC d’octobre 2018. Dans la foulée, nous publierons pour nos fonds les indicateurs de trajectoire de température.

Quel rôle doit jouer l'engagement sur cette thématique ? 

La mesure d’impact dépend de la qualité de l’information extra-financière émise par les entreprises et de la standardisation de ces données. L’évolution du cadre réglementaire et les initiatives de place sont les leviers les plus efficaces pour atteindre cet objectif. En parallèle, la politique d’engagement peut contribuer à améliorer les pratiques des entreprises en termes de transparence. Ce dialogue doit également porter sur la stratégie de l’entreprise pour atteindre les objectifs de développement durable à horizon 2030.

L’engagement n’étant pas « fonds par fonds », nous faisons le choix de publier un rapport global annuel de nos activités d’engagement.

Y a-t-il selon vous un besoin de standardisation des méthodologies de reporting ? 

Les clients doivent pouvoir disposer d’un reporting de performance extra-financière qui permet de mesurer le degré de prise en compte des enjeux de développement durable. Pour cela, la notation ISR seule n’est pas suffisante. Si les métriques d’impact sont essentielles pour renforcer la crédibilité de la démarche ISR de la société de gestion ; il est nécessaire que l’innovation trouve sa place dans la création des indicateurs extra-financiers à publier.

Retrouvez l'intégralité du deuxième numéro d'Investir Durable, le magazine de la finance durable.