Photo : Babak Fakhamzadeh
Environnement

Quelle trace laisserons-nous sur Terre ?

Une civilisation a-t-elle colonisé la Terre avant les humains ? Et si nous devions disparaître un jour, les traces de notre présence sur Terre seraient-elles encore détectables plusieurs millions d'années après ? Telles sont les questions posées par deux chercheurs dans un article publié il y a peu dans l'International Journal of Astrobiology.

Le paysan philosophe Pierre Rabhi raffole de cette formule en miroir qui a le don de nous faire changer de regard sur les choses : "la question n'est pas quelle Terre laisserons-nous à nos enfants, mais quels enfants laisseront nous à notre Terre ?" rappelle-t-il souvent. En l'occurence, Adam Frank et Gavin Schmidt, respectivement astrophysicien et un climatologue, se sont posés la même question, mais pour chercher la réponse dans le passé.

Leur analyse, publiée dans un article de recherche scientifique le 10 avril dernier, a fait l'objet d'un article dans The Atlantic avant d'être repris par l'Agence Science-Presse le 17 avril. Adam Franck y relate notamment l'origine de leur collaboration :

Dans le cadre de mon travail d’astrophysicien, j’ai commencé à étudier le réchauffement climatique dans une "perspective astrobiologique". Cela veut dire qu’on se demande si une civilisation industrielle qui émerge sur une autre planète déclenchera, par ses propres activités, sa propre version du réchauffement climatique. Je visitais [l’Institut Goddard de la NASA] ce jour-là dans l’espoir d’avoir des idées de climatologues, et c’est comme ça que je suis arrivé dans le bureau de Gavin… "Attends une seconde, m’a-t-il dit. Comment sais-tu que c’est la seule fois qu’il y a eu une civilisation sur notre propre planète ?"

Leur papier, intitulé "L’hypothèse silurienne : serait-il possible de détecter une civilisation industrielle dans les strates géologiques ?", partage le résultat de leurs réflexions communes. En mêlant philosophie et science, et avec un brin d'humour (le mot "silurien", rappelle l'Agence Science-Presse, "est un clin d’oeil à la télésérie britannique Dr Who, dans laquelle le héros, voyageur temporel de son état, visite une civilisation reptilienne appartenant à notre lointain passé"), ils remontent le temps à la recherche d'une possible civilisation ayant pu nous précéder sur la planète bleue...

En appliquant le même schéma réflexif, ils s'interrogent sur les traces laissées par notre existence dans plusieurs dizaines de millions d’années. Leur conclusions ? Sur un laps de temps très long de 55 millions d'années (un laps de temps choisi car il y a précisément 55 millions d'années, la Terre connaissait une hausse soudaine de la température lors du passage du Paléocène à l'Eocène), impossible de retrouver des morceaux de statues enfouies ou de plastiques dans les sols ou de villes submergées. Mais la chimie du sol pourrait révéler :

  • notre usage à large échelle des engrais, responsable d'une empreinte d’azote visible dans les sédiments pendant des dizaines de millions d’années ;
  • notre large extraction de métaux rares qui ne restera pas sans conséquence sur les strates géologiques ;
  • notre goût pour les carburants fossiles et pour ce carbone "provenant de créatures mortes tout au long des ères géologiques précédentes" ; comment expliquera-t-on en effet que ces réserves se soient soudainement vidées et et qu'elles aient été accompagnées d’une hausse de la température ? 

Les deux auteurs soulignent toutefois que la hausse des températures connue par la Terre il y a 55 millions d'années s'était étalée sur des centaines de milliers d’années... et non deux petits siècles ! "Ce qui, en un sens, est une mauvaise nouvelle pour "l’hypothèse silurienne", concluent-ils. Si une civilisation pré-humaine avait vraiment fleuri à l’époque et transformé la Terre aussi vite que nous avant de disparaître… nous pourrions être incapables de la voir dans les strates géologiques. Elle serait, littéralement, passée trop vite pour être visible à l’oeil nu" résume Science-Presse.

Cela révèle d'ailleurs également le paradoxe suivant : plus une civilisation est propre, plus elle s'avère difficile à repérer. Si on gérait mieux nos ressources, on aurait peut être moins de catastrophes, mais notre empreinte dans le sol serait moins forte... Faut savoir ce que l'on veut !

En attendant, je vous laisse avec deux vidéos réalisées par la chaîne YouTube Balade Mentale afin de méditer sur cet infime temps que nous représentons pour la planète et le vivant :

 Et si vous vous demandez combien de temps il vous reste à vivre, c'est par ici...

Allez, pas la peine de tomber dans la collapsologie, méditons seulement sur le fait que nous sommes bien peu de choses dans cet univers !