©Chinnapong/Shutterstock
Environnement

L'environnement en passe de se tailler une meilleure place dans la Constitution

A quel rang mettre la protection de l'environnement dans la Constitution ? Et jusqu'où aller ? L'Assemblée nationale a donné vendredi un large feu vert à son inscription à l'article 1er, sans éteindre les critiques.

L'environnement a fait sa grande entrée dans la Constitution en 2005, par l'intégration de la Charte de l'environnement votée l'année précédente. Cette Charte figure ainsi au même rang que les Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux de 1946.

Elle consacre le droit de chacun à "vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" et prescrit que "toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement".

Depuis, via l'accord de Paris adopté fin 2015, "la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques", fait valoir l'exécutif, qui entend traduire ce nouvel enjeu dans la Loi fondamentale. Il a été proposé d'abord d'ajouter à l'article 34 "l'action contre les changements climatiques" aux principes fondamentaux déterminés par la loi.

Sur la table

Insuffisant, ont rapidement pointé les ONG de défense de l'environnement. L'article 34 n'est "pas assez contraignant", avait estimé notamment la Fondation pour la Nature et l'Homme, créée par Nicolas Hulot.

En outre, la défense de la biodiversité doit être ajoutée, faute de quoi la simple lutte contre le réchauffement climatique peut engendrer des effets pervers : la pêche électrique par exemple serait jugée vertueuse car moins gourmande en carburant, mais elle est nocive pour la biodiversité marine, avaient soulevé des ONG.

Alors que plusieurs députés de la majorité et des oppositions se sont activés plusieurs semaines durant, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot a pu annoncer fin juin que l'environnement accéderait à l'article 1er de la Constitution, qui pose les principes fondateurs de la République (égalité, laïcité...).

Les rapporteurs à l'Assemblée ont proposé la formule suivante, validée vendredi dans l'hémicycle en première lecture : la République "agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques". La France sera "le premier pays du G20 à inscrire le climat et l'environnement dans sa Constitution", se félicite Matthieu Orphelin (LREM).

Aller plus loin ?

La victoire n'est pas totale pour Nicolas Hulot qui aurait préféré que "la République assure un niveau de protection de l'environnement élevé et en constante progression", pour une obligation de résultat.

La gauche, et quelques députés de la majorité, ont plaidé aussi pour plus d'ambition, avec un "principe de non-régression" dans la protection de l'environnement, ou (pour les Insoumis) l'inscription de la "règle verte" qui implique de ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu'elle peut reconstituer. Il a aussi été suggéré, sans davantage de succès, que l'Etat protège "les biens communs", eau, air, vivant...

A l'inverse, les députés LR, qui se sont partagés dans leur vote, auraient préféré une inscription à l'article 34, faute de quoi "nous nous piégeons" avec des risques "pour la liberté d'entreprendre" ou "le droit de propriété", d'après Philippe Gosselin.

Juste un symbole ?

Inscrire la protection de l'environnement à l'article 1er de la norme suprême sera "un outil juridique puissant", selon la garde des Sceaux Nicole Belloubet. Cela permettra "d'aller beaucoup plus loin" dans les lois, vante M. Orphelin, proche de Nicolas Hulot. Le projet de loi sur la fin de l'exploitation des hydrocarbures s'était heurté fin 2017 au principe de "la liberté d'entreprendre" et "on n'avait rien à mettre en face sur la garantie de l'environnement", cite-t-il à l'appui.

Face aux critiques principalement de la gauche sur le terme "agir" pour la protection de l'environnement, plutôt qu'"assurer" ou "garantir", la ministre a affirmé vendredi qu'il n'y aura "pas de différence marquante". Le rapporteur général Richard Ferrand a vu dans une "obligation de résultat théorique" une "incantation sans lendemain".

D'autres sont dubitatifs sur l'article 1er tel que modifié. Jean-Christophe Lagarde (UDI-Agir) n'est "pas sûr que cela bouleverse l'ordre juridique". L'ex-garde des Sceaux socialiste Jean-Jacques Urvoas juge aussi cette évolution redondante avec la Charte de l'environnement et d'une "parfaite inutilité constitutionnelle". S'agit-il donc de "greenwashing", pour la simple communication?

Les experts sont partagés. La réforme "donnera véritablement aux parlementaires, aux citoyens mais aussi aux juges des points d'appui solides pour la protection de l'environnement", ont estimé des universitaires, dont Dominique Bourg et Bastien François, dans une tribune au Monde début juillet. Mais, pour le constitutionnaliste Didier Maus, interviewé par Marianne, "il suffit d'interpréter les textes existants" pour remplir les objectifs affichés. Et d'asséner: "Ce projet a donc toutes les chances d'être un coup d'épée dans l'eau".

Avec AFP.