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Environnement

Attaquer les Etats en justice pour sauver la planète, bientôt possible ?

En France et dans le monde, des associations et citoyens militent pour la reconnaissance de la responsabilité juridique des États dans le changement climatique.    

C’est l’un des grands regrets liés à l’Accord de Paris, ainsi qu'au One Planet Summit qui s’est tenu il y a deux semaines dans la capitale. Alors qu’un certain nombre d’États, la France en tête, ont renouvelé leurs engagements en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, le manque de contraintes voire de sanctions prévues à l’encontre des mauvais élèves interroge. Deux ans après la COP21, les derniers scénarios envisagés quant à l’augmentation des températures dans les prochaines décennies prévoient des trajectoires plus proches de 3 degrés que des 2 initialement annoncés, en raison notamment d'efforts insuffisants dans la mise en place des actions nécessaires à la limitation de cette hausse.

Pourtant, en 2017, les investissements dans les énergies fossiles de la part des États notamment restent colossaux. « Aujourd'hui, nous sommes face à des entreprises, des États et des banques qui, en connaissant les conséquences de leurs actes, continuent à subventionner ou à exploiter des énergies fossiles », explique Valérie Cabanes, auteure d'Un nouveau Droit pour la Terre et cofondatrice de l'association « Notre affaire à Tous ». Face à cette situation, la juriste internationale milite pour la reconnaissance de la responsabilité juridique des États grâce notamment à la prise en compte du crime « d'écocide ». Une mesure qui pourrait ouvrir aux citoyens le droit de saisir la justice s'ils considèrent qu'un État ne fait pas son travail pour protéger l'environnement et, par extension, leur droit fondamental à vivre sur une planète viable.

Un manque dans le droit

Mais qu'est-ce qui bloque aujourd'hui cette reconnaissance ? « Il y a manifestement un manque dans le droit, d'une part parce que le droit international est la plupart du temps « mou » et donc non contraignant, mais aussi parce qu'il y a très peu de juridictions qui peuvent déterminer les manquements d'un État à ces obligations », développe Valérie Cabanes. Pour cette raison, elle suggère d'inclure le crime d'écocide aux crimes reconnus par la cour pénale internationale : « L'écocide désigne les activités qui portent gravement et durablement atteinte aux écosystèmes. Ce que nous proposons, c'est que la justice internationale puisse s'affranchir des blocages actuels en passant par-dessus la souveraineté des États ».

Comme référents, la juriste propose notamment de s'appuyer sur un ensemble de données scientifiques, et notamment celles publiées par le GIEC : « Ces données permettent de comprendre à quel moment un seuil par rapport à la stabilité d'un écosystème devient une menace. Par exemple, sur le climat et l'érosion de la biodiversité, qui sont deux limites fondamentales, ces seuils ont déjà été franchis. Aujourd'hui, nous sommes à 400 particules par million (ppm) de CO2 au lieu de 350, et nous sommes déjà rentrés dans la 6e extinction de masse ». Une base scientifique qui pourrait permettre à la justice internationale de déterminer quelles activités sont encore « tolérables ou non » et d'interdire par exemple de nouveaux forages en Arctique ou de sanctionner certaines activités industrielles.

Permettre aux citoyens d'attaquer les États

Depuis plusieurs années, les recours en justice de la part d'associations ou de citoyens se multiplient, avec le cas par exemple d'Urgenda, qui a réussi, il y a deux ans, à faire condamner l'État néerlandais par la justice, qui lui a ordonné de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici 2020. En France, une telle action n'est pour l'instant pas possible, regrette Valérie Cabanes : « En France, il y a déjà une charte de l’environnement adossée à la Constitution, sur laquelle on peut s’appuyer pour démontrer qu’il y a certaines activités que l’État français mène qui sont contraires à notre droit à un environnement sain. Il existe aussi le préjudice écologique : si on détruit un écosystème, on peut solliciter le juge pour demander des réparations pour cet écosystème en dehors de considérations utilitaristes. Donc il existe un certain arsenal. Mais ce que nous proposons, avec Notre affaire à Tous, c'est d'intégrer, lors de la prochaine réforme de la Constitution qui aura lieu en 2018, des amendements qui permettent d'ouvrir aux citoyens les recours en justice, puisque nous sommes finalement les premières victimes du réchauffement climatique ».

En parallèle, « Notre affaire à Tous » a lancé, en novembre dernier, une campagne pour interpeller officiellement l'État par le biais de cinq requêtes : l'inscription du changement climatique dans la Constitution, la reconnaissance du changement climatique comme un crime d'écocide, ouvrir aux citoyens la capacité d'ester en justice, comptabiliser les émissions importées de gaz à effet de serre dans le bilan national et sortir la finance des énergies fossiles. « On peut en tout cas observer qu'il y a un mouvement mondial de justice climatique qui est en train de se fédérer : il y a d'un côté une prise en main des citoyens de leur destin et de l'autre, une forte dynamique autour du droit de la nature. Avec l'idée qu'on ne peut pas avoir un droit efficace par rapports aux enjeux si l'on ne considère pas le vivant dans son ensemble », conclut Valérie Cabanes.