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L’investissement socialement responsable deviendra-t-il la norme ?

Quand la finance intègre des critères éthiques et écologiques à sa grille d’investissement, ce sont des pans entiers de l’économie qui entrent en transition. De gré mais aussi de force, de plus en plus d’acteurs se convertissent aujourd’hui à l’investissement socialement responsable même s’il reste encore beaucoup à faire avant que cela ne devienne la norme.

Le 5 avril dernier, la Banque postale (via sa filiale LBPAM) officialisait son intention de gérer, d’ici à fin 2020, 100 % de ses encours selon les principes de l’investissement socialement responsable. Si la nouvelle fait date, c’est parce qu’elle sort définitivement la pratique ISR de la marginalité : avec près de 220 milliards d’euros d’encours sous gestion, la Banque Postale est en effet la cinquième société de gestion française. « Pour nous, l’investissement socialement responsable n’est pas une mode mais le mode de gestion pertinent pour les années à venir », affirme Guillaume Abel, directeur du développement de LBPAM. « Le mouvement enclenché est irréversible. »

Des motivations majeures

Pour expliquer cet engagement, Guillaume Abel évoque trois motivations principales. « En premier lieu, les graves problèmes environnementaux qui constituent aujourd’hui des risques majeurs, y compris pour la finance. Deuxièmement, le constat d’une profonde crise de confiance envers le milieu financier depuis la dernière crise économique. Enfin, les limites de notre système de protection sociale qui conduiront bientôt les Français à devoir épargner de plus en plus. Or, si l’épargne devient porteuse de sens, alors les marchés financiers pourront jouer un rôle vertueux dans l’économie, offrant une solution à ces trois problématiques », assure-t-il. Selon lui, c’est ce triple constat qui devrait conduire l’ensemble du secteur financier à suivre l’exemple de LBPAM.

Pour nous, l’investissement socialement responsable n’est pas une mode mais le mode de gestion pertinent pour les années à venir."

À plus court terme, les principaux aiguillons vers une finance plus durable restent surtout le cadre réglementaire et la pression sociétale. De ce point de vue, il devient clair que l’absence d’éthique dans les affaires est de moins en moins tolérée par les citoyens, comme en témoigne la violence des crises réputationnelles endurées par des entreprises comme Lafarge, Volkswagen ou Facebook. Cependant les choses doivent encore progresser dans la finance, selon les professionnels de l’ISR. « Malgré une appétence forte des citoyens, il y aussi une grande méconnaissance de ce qu’est véritablement l’investissement socialement responsable », regrette notamment Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’investissement responsable. « Les produits financiers sont des choses complexes à appréhender et c’est pourquoi il faut faire des efforts de pédagogie pour expliquer aux épargnants l’intérêt et l’existence de ces investissements », poursuit-il. C’est ce que promet de faire LBPAM auprès de sa clientèle, ce qui passera aussi par un accompagnement de l’ensemble de son personnel. 

De nombreuses questions que l’ISR n’a pas réglées

En effet pour les professionnels aussi, l’ISR soulève encore de nombreuses questions, qui sont loin d’être réglées. Dans le cas de LBPAM par exemple, Guillaume Abel pointe la question des prêts souverains, qui constituent une large partie de ses investissements. « Pour l’instant il n’existe pas de processus pour noter un état en fonction des principes ISR », commente-t-il. De même, la question de la mesure et du reporting des investissements est encore balbutiante. Les fonds les plus avancés essaient de connaître leur impact sur la société en mesurant par exemple l’empreinte carbone, la création d’emplois, la parité ou encore la consommation d’eau des entreprises dans lesquelles ils investissent. « Mais ce sont des indices parfois difficiles à mesurer, plus encore à agréger », concède Grégoire Cousté, indiquant que « les méthodologies sont encore en phase de maturation ».

Pour la Banque Postale, le délai est donc finalement très court : moins de deux ans pour défricher ces sujets. Guillaume Abel indique y travailler avec d’autres acteurs intéressés dans le cadre de l’initiative Finance for Tomorrow, lancée par Paris Europlace et la Place de Paris.

L’ISR en voie de normalisation

Pour toutes ces raisons, « un certain ISR est en train de devenir mainstream », assure Grégoire Cousté, mais il s’agit encore d’une version relativement light. Ce qui n’empêche pas une catégorie d’investisseurs pionniers de continuer à durcir ses exigences. Ainsi, le centre de recherche Novethic distingue aujourd’hui plusieurs niveaux d’investissement responsable, allant du moins impactant - environ 750 milliards d’euros d’encours en 2015, soit environ 20 % de l’investissement global français - à l’ISR « de conviction » qui se limitait à 123 fonds et 31,2 Mds€ d’encours fin 2017.

L’ISR est avant tout un outil de transition, même si, pour répondre à certaines urgences, notamment climatique, il est clair que certains investissements devront cesser rapidement.

Il est encore loin le stade où certains pans de l’économie (énergies fossiles, tabac, armement…) et peut-être même certains pays cesseront d’être financés par une finance entièrement convertie à l’éthique. Mais « l’ISR est avant tout un outil de transition », tempère Grégoire Cousté « même si, pour répondre à certaines urgences, notamment climatique, il est clair que certains investissements devront cesser rapidement ». La transition ne fait que commencer...

Retrouvez ici l'intégralité de notre guide sur l'investissement socialement responsable "Investir #TousActeurs pour une finance utile".