Le biologiste Fabrice Pernet, chercheur à l'Ifremer, inspecte des huîtres dans une eau salée acidifiée à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), à Landunvez, dans l'ouest de la France.
©Fred Tanneau/AFP
Solutions

Un laboratoire français tente d'adapter les huîtres à un océan plus acide

"Regardez, comme elles sont blanchies : l'acidité a rongé les coquilles", pointe Fabrice Pernet, un sac de jeunes huîtres à la main. Dans son laboratoire de la côte bretonne, le biologiste teste des solutions à "l'autre problème du CO2": l'acidification des océans.

La petite salle aux murs blancs est plongée dans une lumière bleutée. Sur des étagères, 36 bassines transparentes laissent deviner filets d'huîtres creuses, algues brunes ou algues rouges.

C'est dans ce laboratoire de bord de mer, niché entre deux rochers sur une presqu'île à la pointe de la Bretagne, que Fabrice Pernet, chercheur à l'Ifremer, étudie des mesures d'adaptation au second problème créé par le CO2.

Le dioxyde de carbone émis par les activités humaines n'est en effet pas seulement responsable du réchauffement de l'atmosphère: il se dissout également dans les océans et en change la composition chimique. L'eau de mer devient plus acide, et donc plus corrosive, compliquant la vie et la croissance des organismes calcaires (huîtres, crabes, oursins, homards, coraux, etc.).

"Maladie chronique"

"L'acidification a tendance à agir comme une maladie chronique. Elle rend l'ensemble de l'écosystème moins apte à supporter les chocs soudains", résume pour l'AFP Sarah Cooley, chimiste marine et ancienne directrice du programme sur l'acidification des océans de l'administration océanographique américaine (NOAA), licenciée par l'administration Trump.

L'acidité des océans, qui varie fortement selon l'endroit et la saison, a déjà augmenté de 30% depuis la révolution industrielle. Plus de 10.000 articles scientifiques ont montré les conséquences néfastes de l'acidification sur l'aquaculture et les écosystèmes, conséquences d'autant plus graves dans un océan qui se réchauffe et est de moins en moins oxygéné.

Une étude a même montré qu'une eau acide altérait le goût des crevettes nordiques. "On a un peu fait le tour. On sait ce qu'il va se passer: le constat est affligeant, on l'a fait mille fois et il n'est pas suffisant pour mobiliser les gens", estime M. Pernet. "Là, on essaie de trouver des solutions."

Après avoir observé le retard de croissance de l'huître en eau acidifiée, le chercheur étudie désormais les bénéfices éventuels d'une forme d'"agroforesterie marine", consistant à cultiver côté-à-côte algues et huîtres, une pratique déjà éprouvée en Chine.

Pendant deux mois, les huîtres creuses sont ainsi réparties à égale proportion entre des bassines remplies d'eau de mer acidifiée (pH 7,5) ou ambiante (pH 8,1), certaines étant accompagnées d'algues rouges ou brunes et d'autres laissées seules.

Pour obtenir un eau acidifiée, un petit tuyau fait buller du CO2 dans l'eau de mer pompée à côté du labo, "comme une cheminée d'usine qui cracherait directement dans la mer", montre M. Pernet.

"Pansement sur une jambe de bois"

Lors d'une expérience précédente, les algues, qui absorbent du CO2 en se grandissant, avaient aidé les huîtres à compenser en partie l'effet négatif de l'acidité sur leur croissance, selon le chercheur.

Cette fois, il a été décidé d'introduire un herpèsvirus dans les bassins pour voir comment la maladie se propage, en eau acidifiée ou ambiante et avec ou sans algues.

"Les huîtres creuses arrivent à composer avec l'acidité mais ça leur coûte beaucoup d'énergie. Cette énergie, elles ne pourront pas l'utiliser face à un pathogène", explique M. Pernet.

Les chercheurs s'attendent donc à observer une plus forte mortalité d'huîtres en eau acidifiée. Mais les algues pourraient compenser en partie le phénomène car "elles améliorent le microbiote des huîtres" et augmentent ainsi leur résistance au virus, selon M. Pernet.

Ce genre d'étude "est très prometteur", estime Sarah Cooley. "Ce concept de coculture a beaucoup de potentiel pour l'aquaculture. C'est passionnant et encourageant".

"Ça peut vraiment aider" mais "il faut parfois se méfier des bonnes idées", tempère Sam Dupont, maître de conférences à l'université de Göteborg, qui a lui observé un effet négatif de la présence d'herbiers marins sur la croissance des larves d'oursins en eau acidifiée, dans une étude publiée avec une de ses étudiantes.

Quoi qu'il en soit, "tout ça ne sera jamais qu'un pansement sur une jambe de bois, s'il n'y a pas une baisse drastique des émissions de CO2", prévient Fabrice Pernet.

Avec AFP.