L'actrice Céline Sallette incarne la journaliste Inès Léraud dans le film "Les Algues vertes".
© Mélanie Bodolec
Culture

Pierre Jolivet, réalisateur de "Les Algues vertes": "Les lanceurs d’alerte sont aujourd’hui les héros modernes"

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Dans le film "Les Algues vertes", le réalisateur Pierre Jolivet raconte l’histoire d’une jeune journaliste qui décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. Une plongée captivante dans la fabrique d’un long silence, inspirée de la bande dessinée d’Inès Léraud et Pierre Van Hove. Entretien. 

C’est un fléau qui refait surface chaque année. Depuis cinquante ans, les marées vertes défigurent certaines plages bretonnes au moment de l’été. En cause : l’industrie agroalimentaire et notamment des rejets de nitrates, provenant de l’élevage intensif, qui entraînent la prolifération des algues vertes. Si elles ne représentent aucun danger pour la santé lorsqu’elles sont déposées depuis peu et en petite quantité sur les côtes, l’histoire est toute autre lorsqu’elles s’accumulent sur les plages. Leur décomposition au soleil produit des gaz dangereux, notamment l’hydrogène sulfuré (H2S), suspecté dans plusieurs cas de décès en Bretagne. 

Pendant trois ans, la journaliste Inès Léraud a enquêté sur cette pollution mortelle. Son minutieux travail d’investigation a été retracé dans la bande dessinée Les Algues vertes, l’histoire interdite, parue en juin 2019. Il fait aujourd’hui l’objet d’un film. Entretien avec le réalisateur, Pierre Jolivet. 

Le film "Les Algues vertes" sort en salles le 12 juillet.
© Mélanie Bodolec

Avant de vous emparer du sujet, connaissiez-vous le scandale sanitaire et environnemental qui entoure les algues vertes ? 

Je connaissais le sujet de loin. Mais c’est vraiment la bande dessinée d’Inès Léraud qui m’a ouvert les yeux. En lisant cette BD, j’ai découvert comment une omerta pouvait s’organiser à la hauteur de tout un département. J’ai été surpris de voir à quel point les victimes n’avaient pas droit à la parole. Elles avaient perdu un fils, un frère, un mari ou encore un ami, et on leur disait "circulez, il n’y a rien à voir". Les algues vertes fracturent aujourd’hui la Bretagne. J’ai pu m’en rendre compte quand je me suis rendu sur place pour le film. Si certains habitants vous accueillent chaleureusement pour parler, d’autres vous claquent la porte au nez.

Depuis plusieurs années, les associations alertent sur le danger des algues vertes.
© Mélanie Bodolec

Avez-vous subi des pressions sur le tournage ?

Je n'ai pas subi de pressions. En revanche, j’ai eu beaucoup d’interdictions de tournage, notamment de la part des agriculteurs. Dans certains lieux, je n’avais pas le droit de poser un travelling ou un pied de caméra. C’est pour cette raison que le film a été entièrement tourné caméra à l’épaule. 

Contrairement à la bande dessinée, le film retrace cette enquête journalistique à travers l’histoire d’Inès Léraud, interprétée par l'actrice Céline Sallette. Pourquoi ce parti pris ? 

Je ne voulais pas réaliser un documentaire mais une fiction qui montre notamment les coulisses d'une enquête. J’ai trouvé formidable qu'une jeune pigiste décide de ne rien lâcher sur un sujet aussi emblématique et difficile. Ce qui m’a également intéressé, c’est qu’au début Inès Léraud est une journaliste de terrain qui travaille sur des “cold cases”. Puis son destin bascule au moment du décès de Jean-René Auffray, ce joggeur retrouvé mort dans une vasière remplie d’algues vertes, dans la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) en septembre 2016. Elle devient lanceuse d’alerte et tente d’influer sur le cours des choses. Elle n’est plus spectatrice mais actrice. Cinématographiquement, c’est passionnant à développer. Les lanceurs d’alerte sont aujourd’hui les héros modernes. 

Pendant trois ans, la journaliste Inès Léraud a enquête sur le phénomène des algues vertes.
© Mélanie Bodolec

Souhaitiez-vous réaliser un film avec une visée militante ? 

Les films militants sont très manichéens. Ici, il n’y a pas d’un côté les méchants agriculteurs et de l’autre les gentils écologistes. Les agriculteurs sont aussi les victimes d’un système. En revanche, Les Algues vertes met en lumière le combat de militants, de lanceurs d’alerte et d’associations qui luttent encore pour faire éclater la vérité. J’espère que ce sujet pourra toucher tous les publics. Bien plus qu’un scandale sanitaire breton, les algues vertes racontent l’histoire du monde aujourd’hui où l’on pousse à produire plus pour gagner toujours plus. La Terre dit "stop" à cette course effrénée. 

Les Algues vertes - Bande annonce

Le scandale des algues vertes en cinq dates clés 

1989 : Un joggeur de 27 ans est retrouvé mort sur la plage de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor). L'intoxication à l’hydrogène sulfuré (H2S) est suspectée comme étant à l’origine du décès. Aucune recherche ne sera toutefois réalisée. 

2009 : Après la mort, le 22 juillet, de Thierry Morfoisse, un chauffeur de camion qui transportait des algues vertes à Binic (Côtes-d’Armor), un cheval est retrouvé mort, le 28 juillet, sur une plage de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor). Après autopsie, un taux élevé d’hydrogène sulfuré est retrouvé dans les poumons de l’animal. Le 20 août, un plan de lutte contre les algues vertes est lancé par le gouvernement. 

2011 : 36 sangliers sont retrouvés morts dans l’estuaire du Gouessant (Côtes-d’Armor). La responsabilité des algues est de nouveau pointée du doigt après des examens effectués par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) et l’Inéris (Institut national de l’environnement industriel et des risques). 

2016 : En septembre, Jean-René Auffray, un joggeur de 50 ans est retrouvé mort dans une vasière remplie d’algues vertes, à l'embouchure du Gouessant, à Hillion, près de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Aucune autopsie n’est réalisée. En juillet 2019, la famille saisit le tribunal administratif de Rennes (Ile-et-Villaine) pour “obtenir une reconnaissance de la responsabilité des autorités publiques pour que chaque mort suspecte donne lieu à une autopsie”, révélait Ouest France, en octobre 2022 lors de l’ouverture du procès. Leurs demandes d’indemnisation seront rejetées par la justice. 

2018 : Le 14 juin, le tribunal des Affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) reconnaît le décès comme accident du travail de Thierry Morfoisse, retrouvé mort après avoir transporté en camion des algues vertes. Une victoire pour la famille de la victime et les associations qui se battaient depuis dix ans pour cette reconnaissance. 

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