Presque aucune intervention humaine n'a lieu sur le site de Cossure.
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Biodiversité

Cossure, un espace naturel financé par les crédits carbone

Sur la plaine de la Crau, moutons, outardes et lézards ont remplacé vergers et canalisations défraîchis : le domaine de Cossure, vaste steppe au bord de la Camargue, expérimente depuis 15 ans un système de crédits biodiversité "à la française".

Non loin de Fos-sur-Mer, cet ancien verger industriel de 357 hectares, racheté en 2008 et réhabilité, est un dispositif unique en Europe, selon CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts, qui en assure la gestion.

Le principe ? Restaurer une vaste étendue de terres et ensuite proposer cette solution "clés en main" aux aménageurs (entreprises, collectivités) pour compenser les dégâts qui seront causés à la nature par leurs projets dans la région, une obligation réglementaire. Sur le modèle des crédits carbone, ces derniers peuvent ainsi acheter des "unités de compensation" correspondant à un hectare de terrain restauré.

À peine l'entrée du domaine franchie, deux silhouettes ailées brunes et blanches prennent lourdement leur envol à l'horizon. "Ce sont des outardes canepetières, ça fait partie des espèces qui avaient complètement disparu", explique Thémis Rozier, cheffe de projet à CDC Biodiversité. Cet oiseau migrateur avait vu sa population chuter de 95 % en France entre 1970 et 2000.

Retour d'espèces

Après la renaturation, "on a eu tout de suite une énorme fréquentation d'espèces de milieux ouverts parce qu'on a rouvert la perspective : lézards ocellés et toute une cohorte d'oiseaux, alouettes, faucons crécerelles, pipit rousseline, ganga cata, oedicnème criard. (...) Ça faisait partie des bonnes surprises que ça revienne aussi vite", explique Mme Rozier.

Pour cela, CDC Biodiversité a dû investir 12,5 millions d'euros et réaliser deux ans de travaux : 200 000 pêchers et abricotiers, 100 000 peupliers et plus de 1 000 km de tuyaux d'irrigation et de systèmes électriques ont été retirés du site, qui a ensuite été décompacté au bulldozer puis aplani.

Aucune plantation ou réintroduction d'espèces n'a suivi, "on a laissé la nature reprendre ses droits".

Seule trace d'intervention humaine : des abris à lézards ocellés – reptile classé vulnérable en France – sous forme de petits monticules de pierres, parsèment la vaste plaine d'herbes rases, entretenue par près de 1 000 moutons.

Un succès ?

L'expérimentation est devenue un modèle des "Sites naturel de compensation, de restauration et de renaturation" (SNCRR), introduits dans la loi en 2023 pour développer ce type de dispositif.

Pour ses partisans, gouvernement en tête, ces SNCRR permettent une compensation plus fiable que de petits projets isolés. "Ce sont des objets plus cohérents, plus vastes et qui bénéficient d'un pilotage et d'un contrôle permanents sur la durée, généralement 30-35 ans", note Frédéric Melki, patron de Biotope, un bureau d'études environnementales.

Les aménageurs y trouvent leur compte : "l'avantage, c'est qu'on a un package", comprenant la restauration, le suivi, l'unité de compensation, avec "un interlocuteur spécialisé dans le domaine", ce qui "permet de garantir que les mesures se font", explique Amandine Lebre, chargée de protection de l'environnement au ministère des Armées.

Un suivi annuel est effectué par les scientifiques de la réserve naturelle voisine. "La réhabilitation a bien permis la création d'une végétation favorable au retour de l'avifaune steppique", jugent-ils, même si la diversité végétale reste inférieure à celle du cossoul, l'écosystème unique de la plaine de la Crau.

"Avec les traitements subis par des années d'exploitation, notamment les nombreux intrants, on savait que c'était impossible", reconnaît CDC Biodiversité. Mais "globalement on peut dire que l'opération est un succès écologique".

"La validité économique a été plus incertaine (...) ça ne s'est véritablement accéléré que ces trois dernières années", concède Mme Rozier. Mais "aujourd'hui, la totalité des unités de compensation sont vendues ou réservées".

Coté ONG, si on salue "l'effet positif au niveau local" avec le retour d'espèces emblématiques, on note aussi la tentation du "greenwashing" : "on achète le droit à détruire" la nature, dénonçait dès 2014 l'association Nature et citoyenneté Crau Camargue Alpilles. Pour les aménageurs, "la notion d'évitement (...), de réduction (des dégâts), ça passe souvent en second plan", explique Arnaud Béchet, administrateur de l'association.

CDC Biodiversité et l'Etat, qui délivre les autorisations d'achat des crédits, se défendent en rappelant que la compensation n'intervient qu'en dernier ressort : "il faut bien démontrer qu'on n'a vraiment pas pu éviter ou réduire. Les SNCRR sont là uniquement pour les impacts résiduels, pas pour remplacer les autres mesures", explique Mme Rozier.

Avec AFP.