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© Lasse Bergqvist / Unsplash
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Restaurateurs en transition : ces chefs s'engagent à ne plus servir d’anguille

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L'anguille, autrefois abondante dans les eaux européennes, est aujourd'hui menacée d'extinction. Face à l'inertie politique entourant cette situation, plus de 3 500 chefs se sont engagés, sous l’impulsion de l’association Ethic Ocean, à ne plus cuisiner ce poisson. Un engagement salvateur, car 70 % de la consommation d'anguilles se fait en restaurant. Plus largement, cette campagne ouvre une brèche vers une restauration plus durable et consciente de la fragilité des ressources qu'elle mobilise.

Une bouteille jetée à la mer

Lors de l'événement Grand Océan à Cherbourg le 30 septembre dernier, Olivier Roellinger, cuisinier et parrain d’Ethic Ocean, a exhorté les restaurateurs à ne plus cuisiner l’anguille. Un mois plus tard, plus de 3 500 chefs, dont une centaine à titre individuel, ainsi que les 580 chefs des Relais & Châteaux et les 3 000 hôteliers et restaurateurs (GHR) d'Île-de-France ont répondu favorablement à cet appel et affichent leur engagement sous la bannière de la campagne désormais renommée "Anguille ? Non merci".

C’est quoi le problème avec l’Anguille ? 

Autrefois abondante dans les eaux européennes, l'anguille a même été classée comme nuisible dans les années 80! Pourtant, sa prospérité est aujourd'hui un lointain souvenir.

Depuis les années 90, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) alerte sur sa raréfaction. Des mises en garde qui n'ont pas suscité l'écho attendu, puisqu'en 2008, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) déclare l'anguille en "danger critique d'extinction", ultime stade avant la disparition de l'espèce à l'état sauvage. Et pour cause, la population d'anguilles peuplant les cours d'eau douce européens a baissé de 95 % en quarante ans. Même constat pour les civelles, stade juvénile des anguilles, qui évoluent en eaux salées.

Destruction de son habitat, pollution, surpêche : difficile de hiérarchiser les causes (de sa raréfaction) par ordre  d’importance, mais à chaque fois, l’Homme en est le responsable." - Ethic Ocean

De la dégradation de son habitat à la pollution des eaux, en passant par la surpêche, la disparition progressive des anguilles est multifactorielle. Le point commun de toutes ses causes ? "À chaque fois, l'Homme en est le responsable", alerte Ethic Océan.

La pêcherie d’anguille est sans doute la moins durable d’Europe"

S'il est difficile de hiérarchiser ces facteurs et qu'il est important d'œuvrer sur toutes les causes pour résorber la tendance, un facteur est dans la ligne de mire des défenseurs de la biodiversité marine depuis quelques années : la pêche. Alors que les experts du CIEM préconisent depuis plus de 20 ans sa régulation, ces trois dernières années, ils recommandent purement et simplement d'y mettre un terme.

Pour EthicOcean, "la pêcherie d’anguille est sans doute la moins durable d’Europe". Déjà parce que les quantités pêchées sont excessives, mettant en péril la survie de l'espèce. Ensuite parce que, la pêche à l'anguille, par sa nature même, n'est pas durable. En effet, le cycle de vie unique de l’espèce la conduit à ne pondre qu’une seule fois, entre 15 et 20 ans, avant de décéder. Ce faisant, "les pêches ne ciblent que des stades juvéniles (civelles, anguillettes, anguilles jaunes) ou pré-adultes (anguilles argentées), qui ne se sont donc pas encore reproduits. Or pour tous les autres poissons, l’objectif des réglementations sur la taille minimale est de prélever seulement des adultes ayant eu une chance de se reproduire."

Cycle de vie de l'anguille
© OFB

L’anguille, et plus particulièrement les civelles, sont également la proie d'un commerce illégal de masse. Europol estime que 100 tonnes de civelles par an pourraient être exportées d'Europe, principalement vers l'Asie, à des prix atteignant jusqu'à 5 000 euros le kilo.

Inaction politique face à la disparition de l’espèce 

En Europe, la pêche est menée au niveau communautaire depuis les années 80. Bien que les scientifiques du CIEM alertent depuis plus de 20 ans sur la raréfaction des anguilles et sollicitent une réponse politique à la situation, celle-ci a tardé à se mettre en place et s'avère inefficace.

L'anguille est en train de disparaître et pourtant, l'État français demande à ce que les quotas augmentent encore de 12 % " - Olivier Roellinger, cuisinier et parrain d’Ethic Océan 

Ce n’est qu'en 2007 que l’UE fait un premier pas vers la régulation en adoptant un règlement européen " instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles". Une volonté de valoriser les anguilles, certes, mais contrairement aux autres espèces de poissons protégés, aucun quota de pêche n’est imposé et la gestion du problème est déléguée aux États membres, chacun chargé de mettre en place un plan de gestion de sauvegarde national de l'espèce. Une décennie plus tard, la Commission Européenne reconnaît l'inefficacité de cette approche.

Face à cette impasse, une clôture temporaire annuelle de la pêche à l’anguille est instaurée en 2018, mais ne cesse d’être contournée. En outre, cette action semble nettement insuffisante pour le CIEM, qui recommande "zéro capture" d’anguille depuis 2021.

Le rôle de la France est essentiel dans la gestion du problème car 80 % des civelles arrivent sur ses côtes. En réponse au règlement européen de 2007, elle a mis en place des quotas de pêche (uniquement applicables aux civelles). Cependant, et malgré la situation critique des anguilles, le gouvernement a augmenté de 12 % ce quota dans un arrêté gouvernemental daté au 24 octobre 2023.

Le rôle clef des restaurateurs 

Quand la réglementation n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, vitaux de notre société, nous nous devons d’agir". - Pascal Mousset, Président du GHR Paris Ile-de-France

Face à l’incapacité politique de répondre aux demandes des scientifiques, Ethic Océan a décidé de miser sur l’action des consommateurs et d’interpeller les restaurateurs en leur demandant de cesser de cuisiner ce poisson. Des acteurs cruciaux dans cette mobilisation car ils écoulent 70 % du marché français d’anguille et de civelles. Depuis le 30 septembre dernier, plus de 3 5000 chefs ont déjà rejoint cette initiative. "Quand la réglementation n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, vitaux pour notre société, nous nous devons d’agir", a déclaré Pascal Mousset, Président du GHR Paris Ile-de-France.

Cédric Béchade, chef étoilé de l’Auberge Basque, a insisté, pour TF1, sur l'importance de cet engagement : "Si je fais rentrer dans ma cuisine un produit en danger critique d'extinction, comme l'anguille, ça veut dire que je cautionne."

Pour ces restaurateurs engagés, il s'agit non pas d'une privation, mais d'une action fondamentale pour préserver cette ressource. Maxime Szczepaniak, lauréat du concours culinaire Olivier Roellinger pour la préservation des ressources de la mer, le rappelle pour ID "cette ressource risque de disparaitre, ne plus la cuisiner permettra justement qu’on puisse continuer d’en manger plus tard". Il souligne également l’importance en termes de représentation de l’engagement des chefs, "montrer que notre cuisine peut être durable c’est une voie de transmission aux gens qui cuisinent avec nous, à ceux qui nous entourent et qui viennent diner dans nos restaurants". Pour ce jeune restaurateur et Ethic Océan, l’anguille cristallise donc un combat plus global de redéfinition profonde des modes de consommation et espèrent ouvrir la voie vers une transition plus large dans le secteur de la restauration.

Nous devons être des exemples, réinventer la cuisine et montrer aux gens que tout est possible." - Maxime Szczepaniak, chef cuisinier et lauréat du concours Olivier Roellinger

Après avoir travaillé dans des établissements prestigieux tels que le restaurant étoilé "La Cachette" à Valence et la ferme autosuffisante "Gastro Bio" de la Ruchotte en Bourgogne, Maxime Szczepaniak ouvrira son premier restaurant en décembre dans la Drôme. Pour lui, son établissement doit refléter ses valeurs " Le restaurant va s’appeler Mandibule et sur le logo j’ai mis 'cuisine engagée'". Un engagement qui passe par plusieurs choix assumés et orientés vers la durabilité "je ne travaillerai aucun produit de l’Atlantique et de la Méditerranée parce que je suis enclavé dans une zone qui ne le permet pas (…) je m’engage aussi sur d’autres terrains comme le bien-être animal."

Une restauration durable est possible, mais elle implique nécessairement des modifications dans les méthodes de travail et les produits utilisés. Pour autant, Maxime veut montrer que ces transformations ne sont pas synonymes d’appauvrissement de la gastronomie, bien au contraire "ce n’est pas parce qu’on ne veut plus travailler l’anguille qu’on ne peut pas travailler autre chose. Nous devons être des exemples, réinventer la cuisine et montrer aux gens que tout est possible."

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