Lisaqua élève des gambas sans utiliser d'antibiotiques ni de conservateurs.
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Aquaculture durable : "Nous avons créé un nouveau paradigme pour l'élevage de gambas"

Ce vendredi 19 août, Lisaqua met en vente les premières gambas de sa nouvelle installation à Saint-Herblain, près de Nantes (44). Cette entreprise élève des crevettes locales dans le respect de l’environnement. Une première en France. Entretien avec son président Gabriel Boneu.

Vous êtes président et co-fondateur de Lisaqua, une entreprise qui a développé la première ferme aquacole de gambas en France. D’où est venue cette idée et comment avez-vous donné vie à ce projet ?

La crevette est le deuxième produit de la mer commercialisé dans le monde, juste après le saumon. En France, on importe chaque année 80 000 tonnes de crevettes tropicales surgelées sur l’année. C’est un élevage qui est presque exclusivement fait sur les zones de tropiques : Asie du Sud-Est, Amérique du Sud… Il y a un conflit d’usage parce que les bassins d’élevage sont dans les zones de mangroves : il y a de la déforestation et des rejets qui ne sont pas ou peu traités. Ces rejets se retrouvent donc dans l’environnement et polluent les nappes phréatiques, les cours d’eau. Et pourtant, l’élevage de crevettes est en très forte croissance.

Charlotte Schoelinck, qui est à l’origine de notre projet, est chercheuse en biologie marine et a fait une thèse à l’université Paris VI et au Muséum d’Histoire naturelle de Paris sur les mérous et leurs parasites branchiaux. Ensuite, elle a travaillé au ministère des Pêches et des océans du Canada sur les problématiques d’espèces de poissons invasives en aquaculture dans la région des Grands Lacs. C’est là qu’elle a découvert la réalité de l’aquaculture industrielle et intensive. Elle a aussi découvert des nouveaux modes d’élevage, avec des systèmes de co-culture. C’est ce qu’on appelle l’aquaculture multitrophique intégrée. Elle a eu l’idée d’intégrer ces nouveaux modes d’élevage à des systèmes fermés en France. Et c’est comme ça que l’idée de Lisaqua est née.

Nous élevons les premières gambas 'triple zéro' : zéro antibiotique, zéro kilomètre parcouru, et zéro rejet polluant."

Le but de l'entreprise est de produire mieux, de manière plus durable, avec moins de ressources. Lisaqua entend développer un système d’élevage à faible impact environnemental. Tout repose sur un principe de co-culture : au lieu d’élever uniquement des gambas, on met en place des fermes dans lesquelles on fait une co-culture avec des gambas, des micro-organismes (bactéries, microalgues) et des invertébrés marins. On utilise les interactions bénéfiques entre les différentes espèces pour avoir un système où l’eau reste de très bonne qualité. On ne génère pas de rejets polluants parce qu’on traite et on valorise tous les effluents en interne. Nous élevons donc les premières gambas "triple zéro" : zéro antibiotique, zéro kilomètre parcouru, et zéro rejet polluant.

L'équipe fondatrice de Lisaqua (de gauche à droite) : Charlotte Schoelinck, Caroline Madoc, et Gabriel Boneu.
© Lisaqua

Donc, cela vous permet de produire des gambas de manière écologique...

C’est ça, on met vraiment l’accent sur l’impact environnemental. L’objectif est qu’il soit le plus faible possible. On travaille dans une logique d’économie circulaire, où on analyse tout ce qui rentre dans notre ferme et tout ce qui pourrait en sortir. On travaille sur tous les flux pour arriver à les diminuer au maximum. Par exemple, on a besoin de chaleur pour maintenir les bassins à 28°C toute l’année, on va donc implanter notre prochaine ferme à proximité d’une unité de valorisation énergétique (UVE) en région parisienne. C’est une installation qui traite les ordures ménagères pour produire de l’électricité, et elle génère de la chaleur. On va récupérer la chaleur résiduelle de cette UVE pour maintenir la température de nos bassins. Ce qui permet donc de diminuer l’impact carbone, car on n’aura pas besoin d’utiliser de gaz ni d’électricité.

De la même manière, nous fonctionnons en circuit fermé avec l’eau de l’élevage. Quand nous mettons en place notre installation, nous remplissons nos bassins d’eau et ensuite nous n’avons pas besoin de consommer d’eau supplémentaire, parce qu’on la traite et on la filtre en interne.

Vos gambas auront-elles le label Agriculture Biologique ?

Le label bio existe pour les gambas. Nous ne serons pas éligibles dans un premier temps parce que, dans les différents critères du cahier des charges du label AB, l'un d'eux est d’être en milieu ouvert. En fait, pour avoir le label on ne doit pas fonctionner en système de circuit fermé comme on le fait. En revanche, sur de nombreux critères nous sommes plus exigeants que celui-ci. Par exemple, en bio on peut utiliser des antibiotiques et des conservateurs, on est en milieu ouvert, avec des rejets qui se retrouvent dans le milieu naturel... Nous, nous n’avons aucun rejet dans le milieu naturel, et nous n’utilisons aucun antibiotique, aucun conservateur. Donc, sur certains aspects on est plus exigeants que le bio.

Ce système fermé est justement l'un des atouts du projet, ce qui nous permet d’être beaucoup plus économes en ressources, d’avoir un impact le plus faible possible."

Serait-il envisageable à terme d'évoluer sur un milieu ouvert afin d'obtenir le label AB ?

Tout le principe repose sur un milieu très contrôlé en système fermé. Cela nous permet d’avoir des paramètres très stables. Par exemple, d’avoir la température et la salinité de l’eau qui restent très stables, de ne pas être dépendants des aléas météorologiques, comme la pluie ou la canicule, de ne pas être soumis au risque sanitaire… Ce système fermé est justement l'un des atouts du projet, et c’est ce qui nous permet d’être beaucoup plus économes en ressources, d’avoir un impact le plus faible possible. On utilise moins d’espace, moins d’eau, moins d’aliments, on supprime tous les traitements phytosanitaires et tous les antibiotiques. 

Le label bio, selon vous, est-il adapté ?

Il est très adapté à l’aquaculture conventionnelle. Aujourd’hui ce qui se fait en bio, c’est super ! Mais nous avons créé un nouveau paradigme d’élevage. Là où avant, on élevait des crevettes sur le trait de côte dans les milieux naturels, nous développons un nouveau système. Et donc effectivement, ça rebat toutes les cartes.

En l’état, le label bio n’est pas adapté à notre élevage parce qu’on fait quelque chose qui n’existait pas il y a 5 ou 10 ans, lors de sa création. C’est normal, et la réglementation doit évoluer petit à petit. Notre objectif, ce serait de l’assouplir pour prendre en compte les nouvelles formes d’agriculture – et notamment d’aquaculture – qui sont très respectueuses de l’environnement, mais qui actuellement ne sont pas encadrées par ce label. Par contre, il en existe d’autres, comme le label ASC, lié à l’aquaculture durable. Il vient d’évoluer et de créer un nouveau référentiel lié à l’aquaculture indoor. On peut donc maintenant l'obtenir.

Lisaqua élève des gambas sans utiliser d'antibiotiques ni de conservateurs.
© Lisaqua

Vos produits sont commercialisés depuis ce 19 août. Où peut-on les acheter ?

Ce ne sont pas réellement les premières crevettes que l'on vend, mais les premières de notre nouvelle installation. Notre première ferme à grande échelle se trouve à Saint-Herblain, près de Nantes et nous permet de produire 10 tonnes de gambas par an. Jusqu’à maintenant, nous produisions autour de 150 à 200kg tous les trois mois. Désormais, nous sommes plutôt autour de 150 à 200kg par semaine. 

Pour acheter nos gambas, il y a plusieurs canaux. Il y a la vente directe à la ferme, où les consommateurs peuvent passer sur notre site Internet pour acheter des crevettes et venir les récupérer directement sur place. Autrement, nous travaillons avec des poissonniers de la métropole nantaise, et également des restaurateurs.

Pour l’instant, nous sommes sur une distribution très locale, puisque l'on ne produit "que" 10 tonnes par an. C’est assez faible comme volume au regard des 80 000 tonnes importées chaque année.

Nous sommes en train d’installer une ferme près de Meaux, en Seine-et-Marne qui aura une capacité de production de 500 tonnes de gambas par an."

Quels sont les objectifs de l'entreprise pour les années à venir ? 

A terme, notre objectif est de déployer un réseau de fermes en France puis à l’international pour produire autour de 10 000 tonnes de gambas par an. Cela représente 20 % du marché haut de gamme des gambas en Europe.

Nous sommes en train d’installer une ferme près de Meaux, en Seine-et-Marne. Elle aura une capacité de production de 500 tonnes de gambas par an, c’est-à-dire cinquante fois notre capacité de production actuelle. La construction est prévue pour 2024, et le début de la production et de la commercialisation pour 2025. On pourra alors retrouver nos gambas dans toutes les poissonneries, restaurants et réseaux de distribution en région parisienne dans un premier temps, et ensuite on pourra distribuer plus largement en France entière.

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