"Je rêve qu'un jour dans les bars de Manhattan ou Paris, les clients demandent un chenin blanc" comme aujourd'hui un chardonnay, imagine le président de "Fan de chenin", qui fédère les producteurs de ce cépage en plein regain de popularité sur ses terres originelles du Val de Loire.
Profitant de l'appétit des consommateurs pour les vins frais ou pétillants, contrant un peu la crise viticole nourrie par le réchauffement climatique, le désamour pour le vin rouge ou les guerres douanières, les cultivateurs de chenin ont le sourire.
Impossible "de trouver un terrain disponible en chenin!", dit le vigneron saumurois Philippe Porché, dont le collectif "Fan" accueillait en début de semaine à Angers des experts et professionnels de cette variété venue du monde entier.
Le chenin, déjà cité par Rabelais, est apparu en France il y a des siècles. Mais il est aussi parti avec les Hollandais puis les protestants huguenots dès 1655 pour l'Afrique du sud, qui compte aujourd'hui 52% des surfaces mondiales et dont il reste le tout premier cépage.
- "Etre à table"" -
L'Hexagone, avec 34% des surfaces (avant les Etats-Unis et l'Argentine), l'a longtemps maintenu à l'arrière-plan voire "malmené", admet-on en Val de Loire, où il est essentiellement produit: parfois récolté pas mûr, arraché dans les années 1970-1980 pour faire place au noir et prestigieux cabernet franc...
Depuis quelques années, le mouvement s'est inversé: l'heure est à la surgreffe de chenin, cépage multi-usages à même de produire des vins liquoreux et surtout du blanc sec et des bulles.
A rebours du repli mondial des surfaces viticoles, la France a planté 9% de chenin supplémentaire en 15 ans, selon InterLoire, qui regroupe les producteurs de la région.
C'est "un vin de lieu" qui laisse terroir et vigneron s'exprimer, dit le vigneron Pierre Ménard, majoritairement en chenin après avoir testé la petite parcelle que ses parents viticulteurs avaient gardée par attachement familial.
"Le chenin sec a cette acidité apprécié des chefs, il demande à être à table", décrit-il.
Le collectif "Fan de chenin", créé en 2018, veut étendre sa communication aux jeunes, aux végans, aux cavistes, parler cépage autant qu'appellation, explique Philippe Porché, par ailleurs président de l'AOC Saumur blanc, tout en invitant les viticulteurs à éviter un "emballement" exclusif.
A Angers, Français, Sud-africains, Californiens... ont comparé plants et pratiques.
Avec les siècles, les chenins sud-africain et français ont vu leur ADN respectif évoluer, mais ils sont restés parents, ont souligné des chercheurs.
Pour autant, il n'y a pas de vraie concurrence, assure-t-on de part et d'autre.
- Pas de chenin mondialisé -
En dépit de ses ambitions, le chenin français, qui représente 1,4% de l'encépagement national selon l'Organisation internationale du vin, a du chemin pour rattraper le cousin en terme de volumes.
Après 400 ans en Afrique australe, les chenins sud-africains, eux, "sont devenus autres chose, ils sont devenus le reflet de l'Afrique du sud", décrit la viticultrice Rosa Kruger, qui évoque "la profondeur, la densité: vous pouvez sentir le paysage de l'Afrique du Sud, le soleil, le climat extrême, la flore..."
"Je veux faire un vin sud-africain, avec une identité sud-africaine", dit aussi le vigneron Chris Alheit, pour qui le chenin, apte à s'adapter à des terrains variés, est "un raisin qui dit d'où il vient. Il est important d'avoir une identité du Cap, une identité de la Loire, plutôt qu'une identité chenin mondialisée".
En revanche, à l'heure du réchauffement climatique, les plants sud-africains, adaptés à un ensoleillement intense, pourraient bien venir demain secourir les Français, note Virginie Grondain, de l'Institut français de la vigne et du vin.
Chargée du conservatoire des cépages du Val de Loire, elle veille sur 450 plants de chenin, dont 15 rapportés d'Afrique du sud - "on les a ramenés +à la maison+", s'amuse-t-elle.
Objectif : préserver la diversité de la variété, source de meilleure résistance aux aléas, explique-t-elle.
Signe d'intérêt pour le chenin, elle vient de recevoir pour la première fois des demandes de greffons de la part de pépiniéristes français hors du Val de Loire.
Alors qu'on trouve déjà du chenin dans le Larzac ou le Morbihan, des régions comme l'Alsace viennent d'être autorisées à l'expérimenter en AOC.