Villani: la prise de pouvoir par la machine n'est pas pour demain

Cédric Villani, mathématicien et député LREM de l'Essonne, a été chargé d'une mission sur l'intelligence artificielle, qui doit éclairer le gouvernement sur sa future stratégie en la matière.

Il a expliqué cette semaine ce qu'était pour lui cette fameuse intelligence artificielle, en présentant un rapport d'étape. Avec une certitude: une machine intelligente ne va pas de sitôt se rebeller contre son créateur.

Question: L'intelligence artificielle, c'est quoi?

Réponse: C'est un sujet qui depuis les années 1950 a mené à un ensemble disparate d'outils visant tous à avoir des algorithmes qui donnent des réponses fines, personnalisées, des réponses malignes... des réponses dont on croirait a priori qu'elles sont réservées à l'intelligence humaine.

C'est un but général de l'intelligence artificielle: obtenir des réponses qui vont au-delà de ce qu'on attendrait, naïvement si je puis dire, de la machine.

Pour l'instant, même si ça s'est avéré extrêmement puissant et même si tous les domaines voient de possibles applications, on ne fait que commencer à explorer le sujet. Et c'est vraiment un abus de langage d'appeler ça intelligence au sens où nous l'entendons.

La méthode qui donne les résultats les plus puissants, l'apprentissage statistique, à partir d'exemples, fonctionne plus par réflexe que par intelligence. C'est une méthode par corrélation, où l'on cherche des éléments qui sont associés, qui en rappellent certains déjà vus. Certains experts en neuroscience vous disent que l'intelligence, c'est quand on commence à mettre en doute ce qu'on vous a appris, quand on commence à rechercher au-delà de ces réflexes. Et nos programmes d'intelligence artificielle, aussi puissant qu'ils soient, n'en sont pas encore à ce stade.

Q: Pourquoi l'intelligence artificielle fait-elle peur?

R: Il y a un monde imaginaire qui est venu avec l'intelligence artificielle, dont certaines réalisations emblématiques ont été des films comme "Métropolis" (de Fritz Lang, en 1927, ndlr) et surtout "2001, l'Odyssée de l'espace" (Stanley Kubrick, 1968), enracinant le mythe du possible robot intelligent qui prend le contrôle de son destin, se débarrasse des humains et tout ce que vous voulez... Et puis, plus récemment, un film comme "Her" (Spike Jonze, 2013), avec l'utilisateur qui tombe amoureux d'une intelligence artificielle, et là aussi l'intelligence artificielle qui prend son indépendance et se met à faire toutes sortes de choses, et finalement abandonne les humains. Les imaginaires, il faut les prendre très au sérieux.

Pour l'instant, on a surtout eu des imaginaires négatifs qui jouent un rôle très importants parce qu'ils mettent explicitement, noir sur blanc, des peurs qu'on pourrait avoir. Et il est dommage que l'on manque d'imaginaires positifs. Il est dommage aussi que les imaginaires soient restés focalisés sur un très petit nombre d'archétypes. Il reste de très nombreux scénarios à imaginer, qui seront très différents de ce qu'on a vu au cours des dernières décennies.

Mais les scénarios tels qu'on les voit comme dans "Her" ou "2001, l'Odyssée de l'espace", les scénarios d'une intelligence artificielle qui prendrait son indépendance par rapport à la réalité, pour l'instant, c'est réellement de la science-fiction! On a le droit, bien sûr, de se poser la question: quand est-ce que ça peut arriver, quand est-ce que ceci et cela... Mais les utilisateurs sérieux, ceux qui font la recherche, ceux qui sont à la pointe, vous le disent sans fard: s'il y a des dangers et des risques dans l'intelligence artificielle, ce n'est pas celui-là, pour l'instant et pour très longtemps encore.

Q: A quoi peut-elle servir?

R: Ces intelligences artificielles sont très, très fortes pour reconnaître des images, pour classer. Que ce soit des tumeurs -pour savoir si elles sont dangereuses ou pas-, ou des visages, ou des phrases qui ont été écrites, ou des objets... Elles sont capables de reconnaître des situations. Elles sont très fortes pour remplacer nos réflexes: tout ce qu'on fait sans avoir une pensée, elles savent le faire. Elles sont très fortes pour rechercher parmi plein de paramètres possibles, et identifier le meilleur.

Et puis, elles sont très fortes pour jouer. Et on les a vues, au fur et à mesure, pour différentes catégories de jeux, prendre le pas sur les meilleurs joueurs humains. Ce qui ne veut pas dire, entre parenthèses, que les humains aient délaissé ces jeux. C'est plutôt le contraire, par exemple pour le jeu de go: la suprématie démontrée de AlphaGo (un programme de Google qui a battu les meilleurs joueurs ces dernières années, NDLR) est venue avec un boom des ventes de jeu de go à travers le monde, ce qui montre bien aussi que la vision selon laquelle les intelligences artificielles vont prendre des tâches est une vision simpliste. Ce n'est pas parce qu'elles savent faire quelque chose qu'on va abandonner ces tâches.

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