Vigne et pesticides, un long chemin

La vigne est en France très consommatrice de pesticides, une source de préoccupation pour ses riverains, les élus locaux et les viticulteurs eux-mêmes. Pour apporter des éléments de réponse, Santé publique France et l'Anses ont mené une grande étude, PestiRiv, dont les résultats seront publiés à 17H00 lundi.

Gourmande et fragile

Rapportée à la surface, la vigne figure parmi les cultures les plus traitées, avec la pomme ou certaines fleurs.

En 2019, 18 traitements en moyenne (substances permises en bio incluses) lui étaient appliqués, selon le ministère de l'Agriculture. C'est moins qu'en 2016 (20), mais la météo favorable cette année-là peut avoir aidé, souligne le ministère.

C'est de fait une plante vulnérable: depuis l'arrivée du mildiou et de l'oïdium des Etats-Unis au XIXe siècle, la vigne française - venue indemne du Moyen-Orient des siècles auparavant - lutte contre ces deux champignons.

Les traitements sont à 80% des fongicides.

Ces champignons "peuvent détruire une récolte", explique Laurent Delière, ingénieur de recherches à l'institut agronomique Inrae. "Comme ils évoluent vite, les viticulteurs, selon les conditions climatiques, doivent en plus traiter préventivement."

Evolution des pratiques

Selon une mission sénatoriale de 2012, la viticulture représentait 14,4% des achats de pesticides (pour 3,3% de la surface agricole). La profession parle de 12,7% aujourd'hui.

Les données officielles, qui livrent juste l'origine géographique des achats des pesticides, montrent que les départements viticoles restent en tête, comme la Gironde ou la Marne.

Cependant les traitements varient selon les années et la météo, et leur composition a évolué, note M. Delière: moins d'herbicide chimique et plus de couvert végétal, moins de produits toxiques (retirés du marché ou moins utilisés).

Le bio, qui exclut pesticides et engrais de synthèse, s'est aussi étendu: 21% du vignoble national contre 6% en 2010, selon l'Agence bio.

Le secteur, avant la publication lundi de l'étude PestiRiv, a pris les devants pour faire valoir ses efforts.

"Nous demandons à être inclus dans le débat qui suivra", a dit à l'AFP Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins (CNIV).

"Nous vivons au milieu des vignes, de nos voisins. La filière viticole est celle qui a le plus évolué depuis une dizaine d'années", souligne le vigneron bordelais, évoquant une baisse de 8,9% de volume de pesticides achetés entre 2013 et 2024 (+56% de produits de biocontrôle et d'agriculture biologique, -38% de produits de synthèse).

Alternatives

La filière, qui veut miser sur le biocontrole (micro-organismes, phéromones...) et les "auxiliaires" (araignées par exemple) contre les insectes ravageurs, appelle à fluidifier les autorisations.

Contre le mildiou et l'oïdium, l'espoir viendra de variétés résistantes, par croisements avec des variétés américaines sauvages, explique-t-on à l'Inrae.

"Au début du 20e siècle, il y avait beaucoup de ces hybrides en Europe, mais ils étaient peu qualitatifs", souligne M. Delière. Abandonnés tandis qu'arrivaient les fongicides de synthèse, "on s'y intéresse à nouveau avec le besoin de réduire les phytos".

De premiers cépages résistants sont disponibles, mais pas forcément adaptés à tous les terroirs. Il faudra patienter, 20 ans peut-être, pour des versions résistantes des cépages emblématiques.

En attendant, du nouveau matériel d'épandage peut réduire les quantités de pesticide dispersées; la profession mise aussi sur des méthodes qui pourraient éradiquer les oeufs du mildiou enfouis l'hiver dans le sol.

Cohabitation

Dans l'intervalle, quid de la cohabitation entre vignobles et habitations?

Depuis 2020, la loi fixe à dix mètres la distance minimale à respecter entre résidences et zones d'épandage sur la vigne.

L'ONG Générations futures, après des mesures de résidus dans l'air, prône 150 mètres.

Alors que les impacts sanitaires des pesticides sont mieux connus, et après la médiatisation de plusieurs cas (dans une école girondine en 2014 ou en zone arboricole dans le Limousin), des chartes départementales de "bon voisinage" ont été signées entre syndicats agricoles et Etat.

Mais des associations locales ont dénoncé l'absence de concertation sur ces textes. La justice, saisie par Générations futures, les a retoqués, jugeant insuffisante l'information préalable des riverains aux épandages. L'Etat s'est pourvu en Cassation.