Les caves à peine vidées des hectolitres de vin en excédent laissés par la crise sanitaire, les viticulteurs français s'apprêtent à les remplir de nouveau avec le raisin d'une vendange 2020 historiquement précoce, après l'un des printemps les plus chauds du siècle.
Dans tous les terroirs viticoles français, l'avancée de la végétation oblige à avancer la date du début des vendanges de deux à quatre semaines.
Le but: éviter d'obtenir des vins trop lourds en alcool, les fortes températures accélérant la concentration en sucre dans les grains de raisin.
En Bourgogne, le domaine Fichet à Igé (Saône-et-Loire) a ainsi sorti les sécateurs dès mercredi, près d'un mois plus tôt qu'en 2019.
Dans le Bordelais, l'interprofession CIVB table sur une avance de 15 jours par rapport à la moyenne quinquennale: soit un démarrage autour du 20 août pour les premiers blancs, et du 5 au 10 septembre pour les rouges.
Idem en Champagne, où les premiers coups de sécateur devraient être donnés vers le 20 août, selon Maxime Toubart, président du syndicat général des vignerons.
Dans le Val de Loire, l'avance est de dix jours en moyenne, avec des vendanges dès fin août pour le chardonnay, le muscadet nantais et le crémant d'Anjou et de Touraine. Chinon commencera autour du 10-15 septembre au lieu du 20-25 septembre d'ordinaire, selon Jean-Martin Dutour, président d'Interloire.
"Le temps entre la floraison et la vendange raccourcit", note Emmanuel Mannoury, qui exploite 10 hectares à Courteron dans l'Aube. "En dix ans, c'est la cinquième fois qu'on vendange en août (...) mais cette année, c'est la première fois que l'on terminera avant septembre!"
- Hausse de 6 à 8% en volume -
"En trente ans, on a gagné au minimum trois semaines sur le début des vendanges", résume pour l'AFP Thierry Fritsch, du conseil interprofessionnel des vins d'Alsace (CIVA). Chez lui, les vendangeurs commenceront leur travail le 24 ou 25 août pour les crémants, et une semaine plus tard pour les vins tranquilles.
Même calendrier dans la vallée du Rhône où l'état des vignes est scruté chaque jour, soit une avance de dix jours par rapport à l'an passé, note Eric Rosaz, délégué général d'Inter Rhône.
"Les épisodes caniculaires ne cessent de s'accélérer (...) peut-être que demain il faudra utiliser des panneaux photovoltaïques pour créer de l'énergie, irriguer nos vignes et les protéger", s'inquiète Bruno Peyre, directeur des ventes des vins bio JeanJean dans le Languedoc.
La vigne aimant la chaleur, sauf orage dévastateur de dernière minute ou aggravation de la sécheresse des sols, la récolte est attendue en hausse de 6% à 8% en volume par rapport à l'an passé, selon les prévisions du ministère de l'Agriculture publiées la semaine passée, et 1% à 3% par rapport à la moyenne 2015-19.
Ces vendanges s'inscrivent dans un contexte sanitaire et commercial inédit et déprimé: la fermeture quasi simultanée des bars et restaurants dans le monde entier a engendré un manque à gagner de 1,5 milliard d'euros pour la filière. En outre, les taxes imposées en octobre aux États-Unis, confirmées ce jeudi par Washington jusqu'en février, ont entraîné une baisse de 35% des importations américaines de vins français au premier semestre.
In extremis, grâce à 246 millions d'euros d'aide d'urgence accordée par Bruxelles et le budget français, les vignerons ont pu financer le stockage ou transformer en alcool quelque 2,6 millions d'hectolitres de vin invendus et libérer ainsi de la place dans les caves.
- 500 offres d'emploi, quasiment pas de demande -
Distillés, les vins sont transformés en éthanol pour l'industrie ou en gel hydroalcoolique.
Sur le plan social, l'organisation de ces vendanges est aussi une première avec la gestion des gestes barrières pour préserver les salariés.
"Cela demande une réorganisation, il faut faire attention aux distances, à la protection des gens, porter des masques, travailler en décalé", explique Jean-Daniel Hering, producteur de vins bio à Barr dans le Bas-Rhin.
Pas facile. Surtout que beaucoup de viticulteurs ayant recours aux travailleurs détachés se heurtent à la fermeture des frontières de l'Espagne, gros pourvoyeur de main d'oeuvre.
"On espérait avoir des étudiants, mais beaucoup sont refroidis par les mesures barrières", confie à l'AFP Thiébault Huber, président de la confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB) et vigneron à Meursault (Côte d'Or).
"A voir les annonces dans la presse et sur les réseaux sociaux, les gens cherchent toujours, à deux semaines des vendanges. On a mis en place une plateforme dédiée avec Pôle emploi. Il y a 500 offres, mais quasiment pas de demande", se désole-t-il.
Dans le Languedoc, la présidente de l'interprofession Miren de Lorgeril "espère une vraie mobilisation comme celle qui a eu lieu pendant le confinement".
Mais beaucoup de viticulteurs se sont déjà tournés vers les machines à vendanger. En Provence, elles assurent 80% de la récolte, et 90% dans le Bordelais.
"Auparavant, il aurait parfois mieux valu attendre quelques jours pour attendre une maturation optimale des grappes sur certaines parcelles, mais c'était difficile à faire quand on avait beaucoup de personnel à occuper", explique Denis Guthmuller, président de la cave Cécilia dans le Vaucluse, mécanisé à "quasiment 100%" de sa vendange.