Un tiers des maires en France présentent des signes "d'épuisement", et même "d'épuisement sévère" pour 3,5% de ces élus locaux, révèle l'une des premières études à aborder la question.
Dirigée par Olivier Torres, économiste et professeur à l'Université de Montpellier, spécialiste de la santé des dirigeants de PME, l'étude vient d'être publiée en juin dans la revue médicale américaine "Journal of Occupational and Environmental Medicine".
QUESTION: Pourquoi la santé mentale des maires est-elle importante?
OLIVIER TORRES: Les maires qui présentent des signes d'épuisement risquent de prendre de moins bonnes décisions, peuvent devenir irritables, moins créatifs, manquer d'énergie ou tomber dans le cynisme.
Si la santé mentale des salariés a fait de longue date l'objet d'attentions, et si j'ai aussi beaucoup travaillé sur celle des entrepreneurs et des agriculteurs, on ne s'est jamais vraiment occupé de celle des élus locaux, qui exercent pourtant une forme +d'entrepreneuriat de situation+: ils gèrent du personnel, des budgets, des projets, et il y a une forme de gouvernance, le conseil municipal. Je ne connais qu'une étude britannique, vieille de 25 ans, mais elle ne portait que sur le niveau de stress de 65 députés de la Chambre des Communes.
Q: Quel était l'objectif de votre enquête et comment avez-vous procédé?
R: Nous avons envoyé des questionnaires à plus de 1.000 maires, sur les 34.892 répertoriés en France, et avons obtenu plus de 900 réponses valables, provenant à 75% de maires de communes de moins de 1.000 habitants.
Les élus devaient renseigner le niveau de fatigue ressentie, la qualité de leur sommeil, leurs frustrations.
Leur réponses montrent que 3,48% des participants présentent des risques +sévères+ d'épuisement, ce qui représenterait plus de 1.000 maires à l'échelle du pays, et que 31,4% font face à des risques +notables+ d'épuisement.
Selon l'étude, le risque est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, mais il n'y a pas de grande différence entre les maires qui exercent une profession et ceux qui n'ont pas d'autre activité que leur mandat, ni selon la taille de la commune.
Q: Par quelles formes cet épuisement se traduit-il?
R: Il s'agit d'une forme hybride. Pour certains maires, il y a ce qu'on appelle +l'épuisement frénétique+: ce sont des personnes très investies. Elles présentent des signes d'hyperactivité pouvant mener à l'épuisement. Pour d'autres, c'est le +syndrome de l'empêchement+. Ils disent: +Je me sens coincé, je me sens impuissant+.
Q: A quoi attribuent-ils cette fatigue?
R: Les maires citent en premier la lourdeur administrative, la charge de travail, le manque de temps et les difficultés liées aux subventions. Les agressions et menaces viennent assez haut aussi, en huitième position. Certains maires se sentent également privés de leur pouvoir, qui relève désormais souvent des intercommunalités.
Q: Quels remèdes ou quelles actions proposez-vous?
R: Il faut une plus grande sensibilisation des élus à leur santé mentale, il faut du dépistage et de la prévention. On a des outils pour le faire, mais encore faut-il qu'ils s'en saisissent. J'aimerais qu'une ligne téléphonique et des groupes de soutien soient mis en place. Je compte travailler avec l'Association des Maires de France (AMF) et l'Association des maires ruraux de France (AMRF) pour qu'ils voient le jour.
Propos recueillis par Philippe SIUBERSKI