Un plan de relance ambitieux, au risque de négliger la relance immédiate

Si la plupart des économistes jugent le plan de relance "à la hauteur du choc du Covid" et à même de produire une vraie transformation industrielle et écologique, certains soulignent qu'il manque paradoxalement de mesures pour relancer l'activité à court terme.

"Le plan construit l'économie à 2030", "c'est une réponse structurelle" à la crise, "mais, du coup, ce que je lui reprocherais, c'est le traitement propre à la crise Covid", juge Mathieu Plane, de l'OFCE.

Par exemple, seuls 3 milliards d'euros sont prévus pour renforcer les fonds propres des entreprises, dont beaucoup risquent encore la faillite.

Autre faiblesse: rien pour inciter les ménages à dépenser le trop-plein d'épargne accumulé depuis mars (80 milliards d'euros), alors que "l'activité de nombreuses entreprises dépend de la consommation", notamment dans les secteurs les plus touchés, l'hôtellerie, la restauration ou la culture.

Or "un plan de relance est censé remettre assez vite l'économie sur les rails", comme les Allemands l'ont bien compris: sur les 137 milliards mis sur la table par le gouvernement Merkel, "80 milliards sont des mesures de crise, soit 60%, et le reste pour l'investissement de moyen et long terme", illustre M. Plane.

"La crise du Covid a mis en évidence que nous avions perdu la main dans plusieurs secteurs, y compris stratégiques comme la santé, depuis le début des années 2000, alors que les Allemands, eux, ont continué d'investir", répond Philippe Aghion, professeur au Collège de France.

"C'est à cette perte de compétitivité, ce déclin industriel que répond ce plan, qui met fortement l'accent sur l'innovation verte".

Alors, certes, "il faut se soucier de la demande, mais il faut avoir également une politique de l'offre: on ne peut pas redistribuer ce qu'on ne produit pas", ajoute ce spécialiste de l'innovation, rappelant que 30 milliards d'euros sont prévus en 2020 pour financer le chômage partiel et que des mesures de soutien à la conjoncture ne sont pas exclues en cas de deuxième vague épidémique.

Pour Emmanuel Jessua, de l'institut Rexecode, le montant du plan - 100 milliards d'euros sur deux ans - est "bien calibré et à la hauteur du choc exceptionnel que connaît l'économie française".

Notamment parce qu'il met l'accent sur l'investissement, sachant qu'une chute de l'investissement "serait terrible" dans l'immédiat, "parce que c'est une composante importante de la demande", mais aussi à moyen terme, "parce qu'on aura des entreprises moins compétitives et qui n'auront pas su prendre à temps certains tournants technologiques".

Mais comme Mathieu Plane, il juge cependant "un peu faibles", les 3 milliards de soutien aux fonds propres des entreprises.

- "Tabou"-

Récusant l'approche "libérale" du gouvernement, l'économiste Thomas Piketty critique, lui, "un plan très classique" qui a deux défauts majeurs: il "néglige la demande de justice sociale" qui s'exprime dans le pays et est foncièrement "déséquilibré" en faveur du "secteur marchand".

"Il aurait fallu investir bien plus dans la santé et la recherche, créer des emplois publics, et augmenter les salaires", a-t-il dit sur France Inter. "Et ça, c'est complètement tabou", a ajouté l'auteur de "Capital et idéologie".

Mais au-delà des moyens mis sur la table, c'est la bonne exécution du plan de relance qui en fera le succès ou non.

"Le rebond sera très différent si l'argent est diffus ou concentré dans le moment de difficulté", juge Mathieu Plane de l'OFCE.

Si le gouvernement promet un pilotage efficace, centralisé à Bercy et avec des ramifications en régions, il va falloir "arriver à sélectionner les bons investissements, et les bons projets", ce qui demande des "compétences d'évaluation et des tuyauteries rapides pour débloquer les fonds", prévient Emmanuel Jessua de Rexecode.

"Le défi pour le gouvernement sera de s'assurer que les montants annoncés sont rapidement dirigés vers les entreprises, ce qui implique des simplifications administratives", abonde Charlotte de Montpellier, économiste à la banque ING.

Semblant répondre à cette crainte, le Premier ministre a promis jeudi "des effets concrets et perceptibles pour le plus grand nombre" très rapidement.

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