Un matériau supraconducteur s'affranchit du froid

Une équipe de chercheurs américains a fait état mercredi de la découverte d'un matériau supraconducteur fonctionnant à température ambiante, qui fait avancer la recherche dans un domaine crucial pour de nombreuses applications scientifiques et industrielles.

Des trains fonctionnant par lévitation ou des lignes électriques sans perte d'énergie, c'est le Graal des électriciens. A condition de trouver un matériau supraconducteur, c'est-à-dire dans lequel le courant ne rencontre pas de résistance, mais d'utilisation économique.

Car les industriels savent fabriquer des câbles supraconducteurs ou des aimants utilisant cette propriété comme dans les IRM. Mais ces solutions demandent un refroidissement coûteux et compliqué du matériau supraconducteur, à l'aide d'azote ou d'hélium liquide par exemple, jusqu'à des températures bien inférieures à -200 degrés Celsius.

Pour s'affranchir de cette contrainte, des scientifiques ont découvert en 2015 des matériaux devenant supraconducteurs à des températures plus élevées, autour de -75 degrés Celsius, mais à condition d'être soumis à une pression supérieure à 15 millions de bars, soit autant de fois celle de l'atmosphère terrestre.

Une équipe de chercheurs de l'université américaine de Rochester a annoncé dans la revue Nature la découverte d'un matériau supraconducteur à 21 degrés Celsius. Et surtout, la supraconductivité de ce matériau au nom fleuri - un hydrure de lutécium "dopé" au nitrogène - est atteinte à une pression de seulement 10.000 bars.

- "Enorme pas en avant" -

Si la découverte est confirmée, ce serait "un énorme pas en avant", a considéré auprès de l'AFP la physicienne Brigitte Leridon, chargée de recherche CNRS à l'école de physique et chimie ESPCI. Notamment en s'affranchissant des pressions énormes des expériences précédentes, permettant ainsi "à un beaucoup plus grand nombre de gens d'étudier ces systèmes-là", selon cette chercheuse.

L'équipe de Rochester n'est pas novice en la matière, ni ses travaux exempts d'interrogations. La revue Nature avait retiré une étude précédente de 2020, sur la découverte d'un matériau devenant supraconducteur à 15 degrés Celsius et à une pression plus de 2,5 millions de bars, à cause d'interrogations sur ses méthodes de calcul des données.

Brigitte Leridon, qui n'a pas pris part à l'étude publiée ce mercredi, a jugé que ces travaux "présentent tout un ensemble de mesures cohérentes". Avant d'ajouter que "comme il y a eu sur ce sujet toute une série d'annonces, avec parfois des papiers retirés, il est vraiment très important que cette expérience soit reproduite dans un autre laboratoire indépendant".

Dans un article joint à la dernière étude de Nature, deux physiciens américain et chinois remarquent que le mécanisme à l'oeuvre devra aussi être expliqué.

Tout comme la nature exacte du matériau utilisé. "Il reste de grosses incertitudes sur la structure cristalline du matériau", a remarqué Brigitte Leridon.

Un point soulevé par les auteurs de l'étude eux-mêmes, qui comptent sur une analyse plus poussée du matériau pour faire avancer les travaux théoriques sur la supraconductivité.