Entre les prévisions de Météo-France et la recherche en physique quantique, les supercalculateurs d'un centre de données à Toulouse ne font pas que brasser des données pour la science: leur chaleur sert à chauffer des bâtiments, un système qui devient la norme pour mieux faire accepter ces ogres énergétiques.
Nichés dans des armoires de serveurs, appelées "rack", les processeurs émettent beaucoup de chaleur quand ils effectuent des calculs, d'où le besoin de les refroidir en permanence pour leur fonctionnement optimal.
Sans quoi "ça fondrait" et "on serait obligé de les éteindre petit à petit", explique Georges Da Costa, responsable numérique de la Communauté d'universités et établissements de Toulouse, depuis la plateforme régionale de calcul intensif. Le visiteur y est accueilli par un ronronnement puissant, celui des souffleries de traitement d'air et de ventilation.
Dans cette salle toute blanche, le supercalculateur de Météo-France brasse les données de températures, vent, pression, indispensables pour les prévisions météorologiques.
Protégé derrière une grille, il est refroidi par une boucle d'eau tiède, fermée pour préserver la ressource, à l'instar des calculateurs du centre régional de calcul intensif (Calmip) au service de spécialités universitaires pointues (chimie moléculaire, physique des matériaux).
Le troisième utilisateur des lieux, le Data center régional Occitanie, qui mutualise le stockage de données administratives et de recherche des universités toulousaines, est lui refroidi par ventilation d'air.
Le site consomme 15 gigawattheure (GWh) d'électricité par an, autant qu'une ville de 6.000 habitants, en émettant beaucoup de chaleur, jusqu'alors perdue.
Mais à compter d'octobre, cet excédent thermique va être réutilisé dans le réseau de chaleur urbain Toulouse Energie Durable pour alimenter en chauffage et eau chaude 27 bâtiments de la ZAC de Montaudran. Soit l'équivalent de 1.800 logements, dont des équipements universitaires, une résidence étudiante et les ateliers de costumes et de décor du théâtre du Capitole.
- Besoins de l'IA -
Tout fonctionne en boucle: une pompe à chaleur envoie une eau refroidie à 36 degrés dans le circuit de refroidissement de la plateforme de calcul, d'où elle en ressort à 45 degrés. Cette même pompe à chaleur va alors réchauffer cette eau jusqu'à 48 degrés et transférer ces calories dans le réseau urbain, via son circuit souterrain de tuyaux d'eau séparé.
"On va amener de la chaleur décarbonée et à un prix raisonnable qui est indépendant finalement des variations du marché de l'énergie", résume Marlène Rivalland, ingénieure d'études chez Dalkia, la filiale d'EDF qui a installé ce système.
Le centre de données fournira 40% des besoins de chaleur de la ZAC, le reste étant apporté par l'unité de valorisation des déchets et une chaudière à gaz pour les pics de froid.
La valorisation de la chaleur s'impose de plus en plus comme la norme pour réduire l'impact environnemental des centres de données, très gourmands en électricité, et dont l'appétit grossit avec le développement de l'intelligence artificielle (IA) générative, qui nécessite des capacités de calcul colossales.
Selon les pays, cette demande d'électricité supplémentaire peut être couverte par des sources décarbonées comme les énergies renouvelables ou le nucléaire, mais aussi des énergies fossiles telles le charbon, puissant carburant du changement climatique.
Face aux craintes d'un accaparement d'énergie par l'industrie numérique, les centres de données sont de plus en plus appelés à valoriser leur excédent de chaleur, et ainsi alléger la dépense énergétique du territoire où ils s'implantent.
Au niveau européen, une directive de 2023 relative à l'efficacité énergétique imposera aux centres de données de plus de 1 mégawatt (MW) de réutiliser leur chaleur de récupération à partir d'octobre.
"On arrive vers une nouvelle ère de ces outils", avec des installations "qui ont des indices d'utilisation de l'eau quasiment proches de zéro" et qui limitent la déperdition d'électricité grâce à la réutilisation de la chaleur, souligne Stéphane Raison, directeur chargé de l'installation de grands sites de consommation chez EDF.
La France compte environ 300 centres de données, de certains très modestes comme cette plateforme toulousaine d'une puissance d'1,3 MW à des installations offrant des puissances de 250 MW, et bientôt de plus d'1 GW.
Dans la course à l'implantation des centres de données, EDF se met en ordre de marche pour accueillir des acteurs du numérique sur des sites déjà raccordés à l'électricité, à 95% décarbonée en France grâce au nucléaire.