Face au "monstre" de la mode ultra-éphémère et à la hausse des déchets textiles en Europe, des acteurs de la filière travaillent à mettre sur pied un recyclage des vêtements à échelle industrielle à l'horizon 2030.
Réfléchir à la feuille de route d'une mode circulaire était au programme de la 8e édition de "Biarritz Good Fashion", un colloque organisé cette semaine par la Chaire Bali.
Ce programme d'enseignement et de recherche mis en place depuis 2017 à l'École supérieure des technologies industrielles avancées (Estia), implantée à Bidart (Pyrénées-Atlantiques), associe des acteurs du recyclage et des grandes marques de l'habillement.
Selon Alain Poincheval, directeur des opérations de Reju, une entreprise spécialisée dans la régénération de textiles en polyester, le secteur produira "17 millions de tonnes de déchets par an en Europe d'ici 2035, contre 12 millions aujourd'hui".
"L'industrie textile souffre en ce moment de la concurrence déloyale de la Chine", juge-t-il, avec un marché déporté des États-Unis vers l'Europe, marquée par "une hausse de 20% des exports sur les quatre derniers mois".
Pour ce représentant de Rehub, le réseau européen du recyclage textile, la "vitrine" que s'est offerte le géant chinois Shein en installant des boutiques en France, notamment au BHV à Paris, démontre "qu'on s'est complètement laissé déborder" par la mode ultra-éphémère, "dont le modèle repose sur la dérégulation du marché européen et français".
Paul-Antoine Bourgeois, co-gérant de Gebetex, l'un des plus gros collecteurs français qui alimente notamment les friperies avec des vêtements de seconde main, est "interpellé", lui, par l'état des vêtements traités par son centre de tri dans l'Eure.
- "Non-sens" -
"Les produits Shein sont peu, voire pas portés et parfois même encore étiquetés, c'est aussi vrai avec les marques distributeurs", déplore-t-il, en estimant la proportion de ces habits de mauvaise qualité, quasi neufs, à près de 5% des volumes triés.
Des proportions qui vont en augmentant et le laissent "un peu démuni": "quand le produit neuf est moins cher que ce que je peux vendre à une friperie, c'est un non-sens", estime-t-il.
"Aujourd'hui, la filière du recyclage n'est pas structurée en France et on veut mettre tout le monde autour de la table pour voir quels sont les besoins", souligne Valentina Nardi, responsable de la Chaire Bali.
L'enjeu? Que la matière recyclée soit, à terme, au même prix que la matière vierge, seul moyen d'assurer sa compétitivité et sa rentabilité.
Chloé Salmon-Legagneur, directrice du Cetia à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), plateforme d'innovation dédiée à l'industrie de la mode et du textile, et plus particulièrement au recyclage, juge le moment "charnière".
"Depuis plus de dix ans, on fait des preuves de concept à petite échelle et c'est le moment, aujourd'hui, de passer à l'échelle industrielle, de tout transformer", affirme-t-elle, précisant qu'il faudra "de la robotique, de l'intelligence artificielle pour perfectionner le tri et l'identification des matières".
De l'argent, aussi: selon le réseau Rehub, "6,5 milliards d'euros d'investissements" sont nécessaires pour traiter 2,5 millions de tonnes de déchets textiles à l'horizon 2030.
D'après l'éco-organisme Refashion, 3,5 milliards de pièces textiles neuves (vêtements, chaussures et linge de maison) ont été vendues en France en 2024 - environ 10 millions par jour - contre 2,5 milliards de pièces en 2014, soit une augmentation de 40% en dix ans. Le marché de seconde main ne représentant que 7%, en volume, de la consommation globale de textiles et chaussures.