Tension toujours vive en pays d'Arles autour du projet de ligne THT

Présenté depuis des mois comme la condition sine qua non de la décarbonation de la zone industrielle de Fos-Berre, le projet de ligne aérienne à très haute tension entre Gard et Bouches-du-Rhône cristallise une opposition toujours plus déterminée, faisant craindre un conflit ouvert et de nombreux recours juridiques.

"Cette ligne THT ne verra jamais le jour, on ira jusqu'à la guerre !": le porte-parole des collectifs agricoles, Clément Lajoux, a durci le ton, mardi soir à Arles, lors d'une réunion publique parfois houleuse, dans le cadre du "débat global" organisé depuis avril sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Agriculteurs, vignerons, professionnels du tourisme, élus de tous bords, défenseurs de l'environnement, riverains: quelque 800 personnes, selon la CNDP, ont assisté à la rencontre, pendant près de 4h30, invectivant et huant à plusieurs reprises certains intervenants, industriels ou représentants du gestionnaire du réseau électrique RTE, à l'origine du tracé de la ligne THT aérienne.

Avec ses 180 pylônes de 50 à 90 mètres de haut, répartis sur 65 km entre Jonquières-Saint-Vincent (Gard) et Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), cette ligne de 400.000 volts doit répondre à la hausse attendue de la demande électrique pour décarboner la région de Fos-Berre, deuxième zone industrielle la plus polluante de France, et y installer de nouveaux projets (hydrogène, acier bas carbone, data centers, etc).

Pour ses détracteurs, cette "balafre" à travers des sites naturels classés en Camargue et dans la plaine de la Crau va "saccager" des paysages et une biodiversité uniques, avec des impacts "durables" sur des économies locales basées sur l'agriculture, l'élevage et le tourisme.

"Personne n'est contre l'industrialisation de notre territoire, personne ne conteste l'exigence de décarbonation de notre industrie, mais ici, personne ne peut accepter le tracé tel qu'il nous est présenté. Ce projet n'est pas acceptable, il nous semble dévastateur", a déclaré, ouvrant la réunion, le maire d'Arles, Patrick de Carolis.

- "Impact critique" -

Plusieurs intervenants, à l'instar de l'écologue et géographe Raphaël Mathevet, directeur de recherche au CNRS, ont mis en garde contre des "risques de contentieux sociaux et juridiques incroyablement élevés", susceptibles de retarder le projet qui, selon ce scientifique, "menace l'intégrité de sites Natura 2000 et d'une réserve mondiale biosphère de l'Unesco" et aurait "un impact critique" sur les "innombrables espèces" d'oiseaux qu'abrite la Camargue.

"Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas comprendre les oppositions à ce tracé", a convenu le préfet de région, Georges-François Leclerc, qui avait tenu à ce qu'un débat se tienne à Arles, épicentre de la contestation.

Face au projet de RTE, le collectif THT 13-30, qui regroupe une trentaine d'associations, a élaboré une proposition alternative prévoyant l'enfouissement de lignes sur des terrains publics, la relance d'un ancien projet de RTE de câble électrique sous-marin et la délocalisation des projets de production d'hydrogène, très gourmands en électricité, sur des friches industrielles du Gard déjà connectées.

Le 23 mai, une expertise tierce, réclamée par les opposants, est venue conforter la solution aérienne de RTE en mettant en avant, "en dehors de tout impact paysager et avifaune", "ses avantages techniques indiscutables en termes de délai de mise en oeuvre, de coût (300 à 500 millions d'euros contre plus de 4 milliards pour la solution du collectif) et de disponibilité", tout en reconnaissant la "pertinence technique" de la proposition du collectif.

Mais, dans une "note complémentaire" du 27 mai, l'expert Marc Petit, professeur à CentraleSupelec, souligne "plusieurs incertitudes" sur les projets à venir en terme de décarbonation et réindustrialisation, suggérant un "possible étagement dans le temps" du renforcement du réseau électrique afin d'"approfondir les propositions d'alternatives".

Depuis des mois, les opposants à la ligne aérienne contestent le diagnostic de l'Etat sur les futurs besoins électriques de la région de Fos-Berre à l'horizon 2030, chiffrés à 7.000 MW, soit un doublement de la consommation actuelle. Ils soulignent que plusieurs projets industriels, à base d'hydrogène notamment, sont toujours en cours de développement et encore loin d'une mise en production.

"Les entrepreneurs ont besoin de certitudes, les dossiers sont faits, ils prennent des risques", a rappelé le préfet Leclerc, en assurant que "quel que soit le projet retenu, aérien ou enfoui, ici ou ailleurs, il aura un haut niveau d'exigence environnementale".