Sûreté nucléaire: une seule entité, et de nombreuses questions

Vigie de la radioactivité en France mais aussi à l'étranger et expert de la sûreté des centrales nucléaires, l'IRSN s'apprête à être fusionné avec d'autres, soulevant des interrogations sur le sort d'une expertise française à la qualité reconnue à l'étranger.

Le gouvernement a annoncé le 8 février la disparition de l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN) dont les salariés seront répartis notamment entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme du secteur, et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).

La décision a été prise lors d'un "conseil de politique nucléaire" tenu à l'Elysée, où l'on veut lancer un programme de six voire 14 réacteurs et en tenir les délais de réalisation.

Ce conseil a étudié "comment avoir une organisation optimale sur chaque sujet", explique à l'AFP le ministère de la Transition énergétique.

"Ce n'est pas une critique du travail de l'IRSN", dont les 1.700 emplois et le statut seront préservés "ni un objectif budgétaire" mais "une volonté de renforcer l'ASN", assure le ministère qui concède ne pas avoir mesuré le gain de temps ou d'efficacité escompté.

Le gouvernement, mais aussi l'ASN, favorable à cette intégration depuis des années, regardent vers le modèle du régulateur américain.

Jusqu'ici, quand l'ASN doit prendre une décision, elle saisit généralement l'IRSN pour son expertise, par exemple quand il faut répondre à une corrosion de tuyaux près d'un réacteur nucléaire ou aux différentes étapes du grand projet français d'enfouissement des déchets.

L'objectif de cette réforme "est surtout d'aller plus vite", estime Thierry Charles, ancien directeur adjoint de l'IRSN, retraité depuis 2020 mais toujours membre de collèges de l'ASN.

"Qu'on souhaite améliorer le système, ok, mais supprimer brutalement un organisme reconnu en France et à l'étranger, c'est choquant", dit-il, mettant en garde contre le risque de "créer de la défiance et de déstabiliser un système qui marche au moment où on relance le nucléaire".

"Qu'est-ce qui dit que cela va être plus simple ?", s'interroge-t-il, pointant l'écueil d'une "idéalisation" du modèle américain, dont le fonctionnement, avec sa double revue d'experts, n'est "pas simple non plus".

Et quid du devenir d'un savoir-faire patiemment construit, poursuit-il, quand "on peine déjà à attirer car les salaires à l'IRSN sont à 20 à 40% en-deça du privé: le temps que ça se réorganise, les meilleurs vont partir!"

- Information du public -

Surtout, sous le chapeau de l'ASN, il y a "un risque que l'expertise soit orientée par la décision à venir", inconsciemment "bridée" par d'autres critères que la seule sûreté, prévient M. Charles, à l'unisson des syndicats du personnel, qui appellent à la grève le 20 février.

"L'ASN est une autorité indépendante et le restera", insiste son président Bernard Doroszczuk, qui multiplie les exemples: "ses décisions ont conduit à des retards pour la mise en service de l'EPR, à l'arrêt de quatre réacteurs du Tricastin en 2017, à des examens approfondis après la corrosion de circuits" signalée par EDF...

"Dans l'organisation future, il y aura toujours deux phases séparées, une expertise autonome et l'instruction", explique-t-il auprès de l'AFP, "et les experts pourront défendre directement leur position face au collège décideur", ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Pour le chercheur Michaël Mangeon (associé au Laboratoire Environnement ville et Société, CNRS), c'est un "événement majeur" qui pose aussi "la question de l'indépendance de la recherche" alors que "les ancêtres de l'IRSN se sont progressivement émancipés du CEA après l'accident de Tchernobyl".

De fait, l'IRSN est née en 2002 des leçons de Tchernobyl en matière de transparence.

Établissement public à caractère commercial, "l'IRSN a eu par conception une grande liberté d'expression", souligne Thierry Charles. La loi en 2015 l'a encore renforcée en l'obligeant à publier ses avis.

L'IRSN suit quotidiennement le niveau de la radioactivité en France, mais aussi les "nuages" des pays voisins. Quand un événement se produit à Fukushima ou à Zaporijia, il informe largement le public en France, grâce à ses nombreux programmes et échanges avec ses homologues.

La CGT de l'établissement s'interroge sur la gestion d'un éventuel accident nucléaire dans la gestion duquel l'IRSN jouerait aujourd'hui "un rôle important".

Les discussions sur la réforme commencent à peine. Le ministère estime d'un an à un an et demi la durée de sa mise en oeuvre.

cho-ngu/ha/pta

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