Sur un site pollué près de Paris, la naissance d'une forêt d'un million d'arbres

Ils sont encore si petits qu'il faut les protéger de la voracité des lapins mais des centaines de milliers d'arbres s'enracinent déjà, au nord-ouest de Paris, sur une ancienne plaine agricole aux sols pollués par un siècle d'épandage des eaux usées de la capitale.

Cette forêt de loisirs en train de naître dans le Val-d'Oise représente l'un des plus ambitieux projets de reforestation menés depuis des siècles en France.

En dix ans (2019-2029), plus d'un million d'arbres doivent y être plantés, aux essences savamment mélangées pour résister au changement climatique.

Dans les premières parcelles, verdoyantes au printemps, des faisans s'envolent parmi les cormiers, les érables planes ou les aulnes de Corse, mis en terre il y a cinq ans. "Vous voyez, les bouleaux créent déjà une ambiance forestière", apprécie Charles Cohen, chef du projet boisement, parmi les arbres hauts de quelques mètres.

À 28 ans, cet ingénieur de l'Office national des forêts (ONF) est assez jeune pour espérer voir "la forêt mature". "Au bout de 30 ans, les arbres installés donneront des graines qui se sèmeront naturellement à droite à gauche, prévoit-il. Les bouleaux, pionniers, s'établiront très rapidement mais tomberont au bout de 100 ans. À côté d'eux les chênes pourront vivre plusieurs centaines d'années."

Discrètement, presque silencieusement, la forêt de Maubuisson pousse déjà, à une vingtaine de kilomètres de Paris, sur le territoire de sept communes et entre deux cours d'eau, la Seine et l'Oise. Son nom lui vient d'une abbaye fondée au 13e siècle par une reine de France, Blanche de Castille.

- Ancien déversoir des égouts de Paris -

S'il est rare de créer de grandes forêts, "c'est encore plus rare sur de grandes surfaces polluées", souligne Maxime Algis, doctorant en sciences politiques et urbanisme, qui a étudié l'histoire "pas innocente" des sols de cette plaine. "Ce sont des situations qu'on retrouve dans beaucoup de pays d'Europe au 21e siècle: des sols et milieux dégradés, en l'occurrence un ancien site maraîcher fertilisé par des eaux usées, chargées en métaux lourds".

En 1892, Paris subit une épidémie meurtrière de choléra et les autorités veulent l'assainir. Dès la fin du 19e siècle, la plaine de Pierrelaye-Bessancourt va servir de zone d'épandage des eaux des égouts non traitées de la capitale et de sa banlieue.

La fertilité des sols favorise d'abord un maraîchage intensif: haricots, épinards ou encore thym partent vers les halles parisiennes. Jusqu'à ce que des études révèlent, en 1997, une pollution aux métaux lourds rendant les récoltes impropres à l'alimentation humaine. Des associations écologistes tirent alors l'alarme publique. En 2000, la production maraîchère est définitivement interdite.

Pourquoi ne pas planter des arbres et encore des arbres? proposent en 2006 une partie des maires des communes environnantes. L'idée d'une forêt fait son chemin, jusqu'à devenir un grand projet d'utilité publique, étiqueté Grand Paris, en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

"À l'échelle de la France, la création d'un massif entier, c'est exceptionnel, d'autant plus entre des zones urbanisées", souligne Bernard Tailly, ancien maire de Frépillon, 80 ans, qui préside aujourd'hui le Syndicat mixte d'aménagement de la Plaine de Pierrelaye-Bessancourt (SMAPP), porteur du projet.

Cependant l'éventualité que les métaux lourds puissent encore migrer vers les nappes phréatiques reste envisagée. "On surveille l'acidification des sols", commente M. Tailly, rassurant. Le public n'aura de toute façon pas accès aux quelques secteurs les plus pollués et la consommation de produits de la forêt sera interdite.

- "Laboratoire à ciel ouvert" -

Charles Cohen évoque cette forêt comme "une histoire de renaissance", qui montre que "quand on met les moyens, plein de belles choses sont possibles."

Hiver après hiver, les plantations se sont faites manuellement. En février, cinq hommes plantaient "1.500 arbres en une journée", selon leur chef d'équipe, Iviça Jerinic, 40 ans, posant des gaines autour des pousses alignées "contre les lapins qui, en une nuit, peuvent tout manger".

Bois existants et nouvelles plantations formeront à terme une forêt mosaïque de 1.340 hectares, et pour l'ONF, "un laboratoire à ciel ouvert".

Car "le changement climatique, c'est maintenant", insiste M. Cohen, rappelant que le site a connu "d'emblée deux ans de sécheresse puis deux de pluies". Des hêtres de Turquie ou des chênes pubescents de la Méditerranée et du Languedoc ont été plantés, car l'ONF anticipe que "le climat sera plus méditerranéen qu'océanique".

Sélectionner des dizaines d'essences permet d'"éviter la vulnérabilité d'une monoculture qui peut être attaquée par un pathogène", souligne l'ingénieur. Les châtaigniers ont été exclus puisque dans le massif voisin de Montmorency ils sont décimés par "la maladie de l'encre".

Le budget global de création de la forêt de Maubuisson dépasse les 84 millions d'euros. Bien des dossiers restent à boucler concernant les 6.000 parcelles à acheter ou exproprier, et il a fallu éliminer des dépôts sauvages de déchets, mettre un terme aux occupations illicites, lutter contre les "espèces exotiques envahissantes"...

Souvent des riverains interpellent M. Tailly d'un "alors, votre forêt, ça avance?". Il répond qu'il faudra encore patienter avant de voir la plaine revivre en écrin naturel, avec des écoliers en observation sur ses sentiers ouverts aux randonneurs, aux cyclistes et aux cavaliers.