Pour Steve Bossart, les plans sociaux font partie de la légende familiale. Ceux des mines, où son grand-père a passé sa vie. Ceux de l'automobile, où son père était ouvrier.
A 35 ans, le jeune maire de Billy-Berclau (Pas-de-Calais) se démène pour que la troisième "révolution industrielle" s'installe sur sa commune, autour des batteries électriques qui vont permettre aux véhicules de ne plus émettre de CO2.
Le cheveu en brosse et l'oeil juvénile, il multiplie les rencontres avec des industriels à la recherche de foncier, à qui il déroule le tapis rouge pour qu'ils s'installent sur sa commune.
Lui n'a pas travaillé à l'usine, mais ce professeur de musique à l'air sage porte l'héritage familial de deux grandes vagues d'industrialisation et de désindustrialisation qui ont frappé le nord de la France depuis le début du 20e siècle.
Presque comme une rédemption climatique sur un territoire balafré par les marques de l'exploitation des énergies fossiles, son rêve est de créer une "vallée de l'électrique" entre un chevalement de puits de mine abandonné, un terril transformé en piste de ski et des logements ouvriers (corons) réhabilités en gîtes de vacances.
Sur la cheminée de la petite maison de mineur où habite sa grand-mère à Billy-Berclau, une lampe-tempête trône au milieu des bibelots en porcelaine. Son grand-père, décédé en 1991 d'une maladie des poumons, l'utilisait pour descendre au fonds, comme quatre générations de mineurs avant lui, dont certains venaient de Westphalie ou de Pologne.
A quelques encablures de la maison, un grand panneau blanc portant l'inscription "permis de démolition" barre l'entrée de la Française de Mécanique.
L'usine a ouvert en 1969 à Douvrin. Mais une grande partie de ses 460 hectares s'étend sur la commune de Billy-Berclau. "En début de carrière, à la chaîne, et en poste de nuit, mon père y gagnait plus que mon grand-père à la mine en fin de carrière" confie le jeune élu à l'AFP.
Quelques centaines d'ouvriers continuent de travailler sur le site, propriété du groupe automobile Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat..). Au pic de son activité, 6.000 salariés y produisaient des boîtes de vitesse.
Depuis octobre, les pelleteuses travaillent. Des bâtiments entiers sont déchiquetés. "C'est un crève-coeur pour certains de mes administrés de voir cette démolition, car ils ont donné 40 ans de leur vie à cette usine", relève M. Bossart.
S'il juge les normes européennes d'émissions de CO2 responsables du déclin de l'usine, il mise aussi sur le climat pour relancer l'économie locale.
"Nous nous apprêtons à accueillir dès 2023 la première gigafactory de batteries électriques" en France, "qui va venir s'implanter à l'endroit même où il y a 50 ans on avait implanté la Française de mécanique" dit-il.
- Attirer des "gros poissons" -
Toute son énergie est consacrée à attirer des start-up, écoles d'ingénieurs ou sous-traitants autour de cette usine, construite par le consortium ACC (Automotive Cells Company).
Pour ce jeune élu socialiste, entré au conseil municipal à 21 ans, qui en est déjà à son troisième mandat, la croisade c'est l'emploi. Sa commune compte 18% de chômeurs. Avec son corollaire, la lutte contre les votes extrêmes, dans une région où le Rassemblement national s'est enraciné grâce à la fermeture des usines.
"Ici il y a 35 zones d'activités, on doit être des facilitateurs -on est d'abord des aménageurs - pour accueillir l'industrie" via des "projets innovants", "des académies d'entrepreneuriat": Si on veut réindustrialiser, "il faut être prêt".
Et il est prêt. Pour attirer les investissements, il propose des sites "clés en main". Les fouilles préventives archéologiques ont été faites, les démarches administratives sont plus rapides, dans l'espoir d'attirer un "gros poisson" industriel.
"Il y a quelques années nous n'avions que des demandes de centres logistiques qui amènent peu d'emploi". Avec l'arrivée des batteries "ça commence à changer" dit-il.
A Bruay, sa collectivité finance aussi un centre de recherche sur les moteurs, transformé à grande vitesse en centre d'essai pour tester la résistance des batteries.
Comme "d'anciens mineurs avaient été reconvertis dans les fonderies automobiles", une poignée de salariés de la Française de Mécanique "sont aussi en formation" dans un autre centre de recherche sur le moteur électrique, dit M. Bossart.
"C'est le basculement de tout un microcosme local" se réjouit-il, "on a l'impression que les mines étaient il y a deux siècles, mais c'était il y a 50 ans, c'est court".
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