Souveraineté technologique: pour la start-up SiPearl, "il faut sortir de la panique"

Après avoir levé 130 millions d'euros, la start-up française SiPearl, spécialisée dans les semi-conducteurs, veut croire que l'émergence d'un champion européen dans ce secteur est possible, en échappant aux "contraintes d'export" américaines, explique à l'AFP son directeur général, Philippe Notton.

Avec ses microprocesseurs (CPU) destinés au calcul de haute performance, notamment utilisé pour la dissuasion nucléaire, l'intelligence artificielle (IA) ou la santé, cette jeune pousse veut concurrencer les géants américains Intel et AMD. Elle ne lutte toutefois pas contre le mastodonte des puces Nvidia, devenue la première entreprise à dépasser les 4.000 milliards de dollars de valorisation boursière et qui conçoit un autre type de puces appelé GPU.

Créée en 2019, SiPearl compte désormais 200 salariés et vient de conclure un nouveau tour de table de 32 millions d'euros, portant à 130 millions les sommes obtenues depuis son lancement.

Elle a également envoyé son premier modèle de puce au fabricant TSMC à Taïwan, afin de "lancer la production pour des livraisons, si tout se passe bien, à partir de fin 2026", selon son dirigeant.

Ces premiers modèles devraient notamment équiper le supercalculateur Jupiter de l'allemand ParTec et du français Eviden, branche du géant français Atos, qui doit proposer une puissance de calcul très élevée.

En parallèle, SiPearl prépare sa deuxième levée de fonds, avec pour objectif d'atteindre 200 millions d'euros.

"Les semi-conducteurs, ça coûte très, très cher", explique Philippe Notton.

L'investissement est d'autant plus coûteux que la start-up a fait le pari d'une conception européenne, dans un contexte de préoccupation croissante au sujet de la souveraineté technologique.

"Je pense qu'on a été (...) assez précurseurs là-dessus", vante son dirigeant, alors que la Cour des comptes européenne a annoncé en avril que l'UE n'atteindrait pas l'objectif de doubler sa part de marché d'ici 2030 dans le secteur, comme prévu dans le "Chips Act" de 2022, un plan d'investissements destiné à relancer le secteur.

- "Pari" européen -

Chez SiPearl, la conception est ainsi réalisée entièrement en Europe, "de façon à être le moins lié possible aux contraintes d'export américaines".

Les Etats-Unis ont en effet développé depuis plusieurs années une politique stricte de limitation à l'export des puces les plus avancées, qui vise explicitement la Chine et peut pénaliser toutes les entreprises qui développent ces composants sur le sol américain.

Pour Philippe Notton, l'argument européen est "un très gros plus sur le marché. On fait le pari qu'à terme, avec toutes les régulations qu'il va y avoir, ça va être de plus dans plus important dans les appels d'offres, surtout les appels d'offres sur la base d'argent public."

Mais sa start-up reste dépendante d'une production taïwanaise, via le géant TSMC.

"Il y a plus de 90% des entreprises qui font des puces de calcul, que ce soit des petites comme nous ou des très grosses, qui travaillent avec TSMC, pointe M. Notton. Donc, il n'y a pas le choix", faute d'alternative européenne.

Si le continent compte plusieurs acteurs de premier plan, comme les français STMicroelectronics et Soitec, ou le néerlandais ASML, le dirigeant regrette un "retard" important dans le secteur.

"Idéalement, on préférait que l'usine soit en Europe plutôt qu'à Taïwan", reconnaît-il, plaidant pour une prise de conscience européenne.

"Il faut sortir de la panique" sur la dépendance technologique du Vieux-Continent, pour passer à l'action, insiste-t-il, défendant le fait d'accorder la priorité à des technologique locales lors des appels d'offres.

A l'instar de l'ancien ministre Bruno Le Maire, désormais conseiller du néerlandais ASML, le dirigeant espère ainsi une nouvelle version du "Chips Act" européen, dotée de davantage de financements.