Quatre ans d'attente pour une recyclerie, extension impossible pour un garage solidaire: au Pays basque, prix élevés et rareté du foncier compliquent l'installation de structures de l'économie sociale et solidaire, qui ont besoin de loyers modérés pour compenser leur lucrativité limitée.
"C'est une problématique essentielle", abonde Ghis Haye, présidente de la Maison de l'économie sociale et solidaire en Pays basque.
"Il y a des structures qu'on a essayé d'accompagner et qui ont renoncé parce qu'elles n'ont pas trouvé de locaux ou alors à des prix qui ne leur permettaient pas de se lancer", ajoute la dirigeante de cette instance représentant les 1.293 structures de l'ESS du territoire qui emploient 12.482 personnes, soit 1 salarié basque sur 8, selon des données de l'Insee de 2015.
Pour Claude Olive, élu (LR) de la Communauté d'Agglomération Pays basque en charge de la stratégie foncière, "la problématique du foncier se joue sur tous les plans et notre seul levier est de préempter des terrains. C'est difficile, on n'a pas beaucoup d'outils".
À Bayonne, depuis un mois, l'association Konpon Txoko prend enfin ses quartiers dans un local de 490 m2, après quatre ans de quête. Cette "réparerie" et recyclerie permet aux particuliers de réparer leurs engins en panne, à prix libre, et revend du matériel professionnel à prix très réduit.
- Loyers trop chers -
"On a monté des dossiers pour qu'on nous prête des locaux, mais le foncier est tellement compliqué ici que ça n'a pas été possible pour les pouvoirs publics de nous trouver quelque chose d'assez grand et adapté", explique Shawn Lubrano, l'un des coprésidents de la structure.
L'association s'est finalement tournée vers le parc privé. "On est tombés sur quelqu'un qui voulait nous aider, on a trouvé un arrangement. Parce qu'avec un loyer entre 10 et 12 euros le mètre carré tous les mois sur la côte basque, c'est énorme, surtout quand vous avez besoin de plusieurs centaines voire d'un millier de mètres carrés".
Josiane Boada, directrice de l'association Ciel qui porte un garage solidaire pour la réinsertion professionnelle au profit de bénéficiaires désignés par les organismes sociaux, n'a pas encore trouvé. Déjà présente à Mourenx, dans le Béarn, la structure aimerait s'étendre au Pays basque, "sollicitée par les collectivités locales parce qu'il y a des besoins".
Les recherches, depuis un an, sont vaines. "On est un garage à tarif social, on ne prend pas de marge sur nos travaux, donc il nous faut un loyer modéré. Sur le marché, les loyers sont cinq fois plus chers que ce qu'on pourrait mettre."
Heykel Bouazza, élu en charge du sujet au sein de la Région Nouvelle-Aquitaine, dresse lui aussi le constat d'implantations empêchées. "Les agglomérations doivent avoir en tête qu'il faut penser à l'économie circulaire, ce n'est pas le marché qui va gentiment leur laisser une place."
- "Mécénat foncier" -
Face à l'impasse, Ghis Haye plaide plutôt pour du "mécénat foncier", de la part de "citoyens qui ont des biens qu'ils pourraient mettre à disposition" ou d'"entreprises qui pourraient sous-louer des parties d'entrepôt inutilisées".
Sur ce territoire de plus de 300.000 habitants, les tensions autour du foncier et de l'immobilier s'accentuent. Depuis fin 2019, selon la Fédération nationale des agences immobilières (Fnaim), les prix à l'achat au Pays basque ont augmenté de plus de 35%, avec des pics de 8 à 10.000 euros le m2 dans des villes comme Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz.
En parallèle, dans cette zone hautement touristique, qui a reçu 9,5 millions de visiteurs entre juin et septembre 2022 selon l'Agence d'attractivité et de développement touristiques Béarn Pays Basque, le parc de résidences secondaires a augmenté de plus de 19% entre 2007 et 2017.
Le foncier agricole est aussi touché. Depuis le 27 juin, un collectif de militants et de paysans occupe une maison entourée d'une cinquantaine d'hectares de terrain vendue pour 1,3 million d'euros à Saint-Pée-sur-Nivelle, pour "dénoncer une spéculation galopante" sur les terres agricoles.