"Sacrifiés sur l'autel de l'Europe": l'amertume des producteurs de fruits

"Les agriculteurs ont été sacrifiés sur l'autel de l'Europe": pour Pierre-Jean Savoldelli, qui cultive des cerises près de la frontière espagnole, le verdict est sans appel, même si, lui, a "réussi à survivre" en se trouvant un marché de niche.

En cause, selon cet agriculteur des Pyrénées-Orientales (P.-O.), l'entrée du voisin espagnol sur le marché unique européen il y a près de 30 ans.

"En 1997, cinq ans seulement après m'être lancé dans la pêche et l'abricot, j'ai failli tout arrêter, je ne m'en sortais plus", se souvient M. Savoldelli.

Le département était autrefois surnommé le "jardin primeur de la France". En 1988, il comptait 11.873 agriculteurs, contre environ 2.700 aujourd'hui, selon la Chambre d'agriculture des P.-O.

Le nombre d'exploitations agricoles a été divisé par près de six en 40 ans (14.700 en 1980, contre 2.500 en 2019), souligne Jean-Paul Pelras, rédacteur en chef du magazine l'Agri, basé près de Perpignan.

"Ils nous ont laminés", résume Yves Aris, président de la FDSEA 66.

Il met en cause "l'accompagnement européen aux pays, comme l'Espagne, qui avaient un retard de développement". Cela leur a permis "de rapidement gagner en compétitivité, en investissant massivement dans de grandes exploitations plus facilement mécanisables", explique-t-il.

Ceci, rajouté au coût d'une main d'oeuvre agricole parfois jusqu'à "deux ou trois fois moins chère" de l'autre côté de la frontière, et "c'est foutu, vous ne pouvez pas lutter", abonde M. Pelras, lui-même ancien agriculteur ayant fait faillite en 2001.

- "Contexte hostile" -

M. Savoldelli a, lui, opéré un changement radical de son mode de fonctionnement.

Il y a 20 ans, il acquiert un domaine dans la station touristique d'Argelès-sur-Mer, et vend directement sa production aux vacanciers. Il se lance ensuite dans la cerise en "auto-cueillette". "Les gens cueillent eux-mêmes et paient trois fois moins cher que sur le marché, et moi je m'évite la main d'oeuvre".

D'autres ont trouvé une planche de salut dans le bio. "Beaucoup de petites et moyennes exploitations n'auraient pas survécu sinon", explique à l'AFP Patrick Marcotte, directeur de l'association d'agriculteurs CIVAM bio des P.-O.

Le département bat du coup des records, avec 25% des surfaces de production en bio, contre environ 7% dans le reste de la France, dit-il.

Bruno Vila a négocié ce virage au cours des 30 dernières années pour s'extraire d'un "contexte hostile".

"Aujourd'hui, les 80 hectares de nos vergers --kiwi, poire, pêche, abricot-- sont entièrement bio", affirme fièrement cet agriculteur qui préside la société Rougeline regroupant 180 producteurs de fruits et légumes dans le sud de la France.

IGP, label rouge, ZRP (zéro résidu de pesticides) ou HVE (haute valeur environnementale)... Au-delà du bio, une myriade de labels de qualité ont émergé, portés par une demande croissante de consommation locale, sans pesticides et dans le respect de l'environnement.

- "A règles égales" -

"On essaie de se différencier, avec des fruits de qualité gustative, sans aucun traitement chimique", explique Rémy Delclos, qui s'est lancé cette année dans la framboise en sus de ses quatre hectares de fraises à Théza, près de Perpignan.

Il relève toutefois ne "s'en sortir que très moyennement" face à des fraises espagnoles à deux euros le kilo qui se déversent en "quantités faramineuses" sur le marché français."Heureusement qu'on a les épaules larges et le dos dur".

Mais pour M. Pelras, les producteurs ne peuvent pas compter uniquement sur les consommateurs avertis pour survivre. "Il faut regarder les choses en face, le gars qui vit à Argenteuil, il n'a pas le pognon. Le bio c'est à la marge, il faut du volume", soutient-il.

"En Espagne le niveau de vie s'est développé, la politique européenne a atteint ses objectifs. Maintenant il faut qu'il y ait une véritable convergence des salaires, de la fiscalité et des normes phyto-sanitaires", plaide le président de la FDSEA.

"Il faut jouer à règles égales".

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