Retraites: les économistes ne voient pas vraiment de "justice" dans la réforme

Présentée comme "un projet de justice" par le gouvernement, la réforme des retraites peut difficilement être perçue comme équitable car elle demande plus d'efforts aux classes moyennes qu'aux cadres, selon plusieurs économistes interrogés par l'AFP.

L'argument a été martelé une dizaine de fois par Elisabeth Borne, lors de sa présentation de la réforme des retraites: le projet vise à "rendre le système plus juste". En particulier "pour les femmes", mais aussi "les plus fragiles", sans oublier "ceux qui ont commencé à travailler tôt".

Autant de catégories faisant l'objet d'aménagements censés amoindrir l'effet du report de l'âge légal de 62 à 64 ans, "qui va rester comme une marque de dureté", estime Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'OFCE.

Ce sera particulièrement le cas pour "des salariés peu qualifiés qui ont commencé à travailler entre 19 et 21 ans, (et qui) vont avoir l'effort le plus important à faire, tandis que les cadres et ceux qui ont commencé à 23 ans auront très peu à contribuer", explique-t-il.

Même si l'exécutif "a fait un peu machine arrière" par rapport aux 65 ans avancés par Emmanuel Macron avant sa réélection et a donc "rendu un peu moins injuste" sa copie, il va tout de même "avoir du mal à indiquer que cette réforme était la plus juste possible", juge l'économiste.

Son confrère Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, est du même avis: "Je ne crois pas que la justice sociale soit la motivation de cette réforme", dont le but est d'abord "d'équilibrer le système" sur le plan financier, résume-t-il.

Lui aussi constate que la méthode choisie pour remettre les comptes d'aplomb "va peser plus fortement sur les classes moyennes et une partie des classes populaires". Tout en épargnant "ceux qui sont dans les 10% de salaires les plus élevés", mais aussi "les plus modestes".

- "Pseudo-avancées" -

En effet, "on ne touche pas au départ à 62 ans pour invalidité" qui concerne "beaucoup de personnes qui ont des métiers difficiles", ni à l'annulation de la décote à 67 ans pour "tous ceux qui ont une carrière incomplète", dont "beaucoup de femmes avec des temps partiels subis", relève Nathalie Chusseau, professeure d'économie à l'université de Lille.

Reste qu'entre les deux extrémités de l'échelle sociale, "ce sont probablement les personnes moyennement qualifiées qui vont être pénalisées", surtout celles "qui sont entrées sur le marché du travail relativement jeunes" et devront "cotiser 44 ans" pour une retraite à taux plein, alors que la durée de référence sera de 43 ans.

"C'est un problème", d'autant plus que ces "carrières longues" ont "souvent des métiers pénibles et une espérance de vie plus faible", souligne l'enseignante, qui se dit en outre "pas du tout convaincue par les pseudo-avancées en matière de pénibilité", car la prévention et la reconversion des salariés "supposent un effort des employeurs".

Or, "on ne va faire porter le poids de la réforme que sur ceux qui travaillent", conséquence selon elle d'un "parti pris du gouvernement qui veut maintenir le niveau de vie des retraités", pourtant "assez généreux" comparé aux autres pays riches, le tout "sans augmenter les impôts".

Des alternatives qui ont toutes l'inconvénient de "rogner sur le pouvoir d'achat", souligne M. Bozio, même si "on pourrait demander un effort plus grand aux salaires les plus élevés, qui ont une espérance de vie plus longue".

Le débat est de toute façon loin d'être clos car la sortie des déficits prévue en 2030 "ne voudra pas dire que le système fonctionne le mieux possible". Au contraire, "on peut avoir un système inefficace mais à l'équilibre", glisse-t-il, ajoutant que "ce n'est probablement pas la dernière réforme".