Remous autour d'un projet de barrage sur le Rhône

Un projet de barrage hydroélectrique sur le Rhône, dont les contours ont été esquissés mercredi, rencontre une forte opposition sur le site choisi, un des rares espaces non aménagés du fleuve, en amont de Lyon.

Après une année d'études et à l'avant-veille de l'ouverture d'une consultation publique, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) a présenté mercredi le "projet Rhônergia" qui pourrait voir le jour d'ici 2033 entre l'Ain et l'Isère, si l'Etat donne son feu vert.

Pour un budget estimé à 330 millions d'euros, la CNR envisage un barrage-usine avec une chute de 6,8 mètres situé au niveau des communes de Saint-Romain-de Jalionas (Isère) et Loyettes (Ain), une retenue de 22 kilomètres de long pour ralentir le débit du fleuve et une digue de 4 km.

Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE sera chargé de raccorder l'ouvrage, ce qui nécessiterait une ligne souterraine de 63.000 volts sur environ 4,5 km, selon la CNR.

Cette infrastructure pourrait produire 140 GW/h par an et couvrir les besoins électriques annuels de 60.000 habitants, soit l'équivalent de la population de Bourg-en-Bresse, a souligné Laurence Borie-Bancel, la présidente du directoire de la CNR, lors d'une conférence de presse.

Ce projet présente "un intérêt tout particulier au regard du contexte énergétique", a-t-elle ajouté, en soulignant son rôle possible dans "la lutte contre le changement climatique", pour l'indépendance énergétique de la France et l'inflexion des coûts de l'électricité.

- "Pas à n'importe quel prix" -

Localement, tous ne l'entendent pas ainsi. Environ 150 personnes ont participé lundi à une réunion dans un gymnase de Saint-Romain-de-Jalionas pour formaliser la création d'un collectif d'opposants.

"Notre souhait, c'est que ce projet soit tout simplement abandonné", explique un de ses membres, Clément Pradier. S'ils voient le jour, "ces aménagements vont défigurer complètement tout ce territoire".

Favorable au développement des énergies renouvelables, il estime que le prix financier et environnemental du barrage est "trop important par rapport à l'énergie décarbonée" qu'il pourrait fournir.

Jérôme Grausi, le maire sans étiquette de cette commune d'à peine 3.500 habitants, s'érige lui aussi contre "l'artificialisation" de son territoire.

"On est sur les 25 derniers kilomètres naturels du Rhône", note-t-il en faisant visiter les berges arborées du fleuve, situées entre deux zones protégées. Mais si le barrage voit le jour, "ça modifiera complètement son cours" sur au moins deux kilomètres, note-t-il.

Si l'énergie hydroélectrique présente des atouts, "nous, on dit pas à n'importe quel prix, pas à n'importe quel endroit".

- "Passionné mais courtois" -

Olivier Le Berre, qui porte le projet à la CNR, a justifié le choix du site par ses qualités "géotechniques", "sa stabilité". "Nous sommes allés chercher le bon sol" pour ériger le barrage, a-t-il expliqué lors de la conférence de presse.

Il y a une quarantaine d'années, un premier projet de barrage dans cette zone avait été abandonné, mais le nouveau dossier est très différent, a-t-il assuré. "Cette fois, l'usine et le barrage sont accolés", la structure sera "compacte" et "s'insérera de manière optimale dans son environnement".

Pas convaincu, le collectif d'opposants, qui a lancé une pétition sur internet, entend se faire entendre lors de la concertation qui ouvrira vendredi et durera trois mois.

"Tout ce qui concourt au débat est le bienvenu", a commenté Jacques Archimbaud, garant de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui va superviser ce dialogue. "On espère un débat passionné mais courtois".

Cette consultation n'est qu'une étape dans un long processus: l'Etat dira à la mi-2024 s'il souhaite que la CNR poursuive son travail; une enquête publique sera alors ouverte et l'Etat rendra son arbitrage final en 2027.

Si le dossier est validé, les travaux débuteront en 2029 pour une mise en service prévue en 2033.

La CNR, qui supervise déjà 19 barrages hydroélectriques sur le Rhône, estime que "Rhônergia" est le dernier projet de cette nature envisageable en France.

C'est à une dizaine de kilomètres en aval du site choisi pour le futur barrage qu'une délégation d'autochtones colombiens du peuple Kogi était venue début octobre effectuer un "diagnostic de santé territoriale" à la confluence du Rhône et de l'Ain, dans le cadre d'un programme de coopération avec des scientifiques européens. Ils avaient préconisé de "laisser vivre" le fleuve sur ce dernier tronçon sauvage qu'ils avaient nommé "Munkulaxka" - le lieu qu'il faut laisser croître.

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