A Reims, la France des métropoles se penche sur ses propres fractures sociales

Souvent accusée d'accaparer les ressources au détriment des territoires plus ruraux, la France des métropoles a dressé un état des lieux, vendredi à Reims, des fractures sociales et territoriales à l'oeuvre au sein même des grandes villes.

"Aujourd'hui, les deux tiers des habitants en situation de pauvreté vivent dans les grandes agglomérations. On ne peut pas dire en même temps qu'on capte les richesses; la désertification médicale qui frappe nos campagnes touche aussi nos grands quartiers populaires", a rappelé Johanna Rolland, maire PS de Nantes et présidente de France urbaine, qui représente les grandes villes et agglomérations, lors de "journées nationales" organisées à Reims.

La pauvreté a connu une évolution importante depuis une trentaine d'années pour se concentrer dans les zones urbaines, a déclaré Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l'université Paris 8, en ouverture des débats. "Il y a eu un basculement de la pauvreté avec des personnes qui étaient plutôt âgées, sans soutien pour leur retraite, vers des personnes plutôt jeunes, éloignées de l'emploi, souvent des familles monoparentales et qui habitent dans les villes-centres" (les communes centrales des agglomérations, ndlr).

"Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas, dans la France périurbaine des zones où se concentre l'emploi ouvrier et qui, du fait d'un sentiment d'abandon par les services publics, ressentent aussi une forme de crispation très intense", a-t-il ajouté.

Parmi les exemples de mécanismes de ségrégation, M. Duvoux a cité l'instauration des Zones à faibles émissions (ZFE), prévues dans les principales agglomérations pour que les populations respirent mieux. A Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), elles excluraient de fait selon lui 82% du parc automobile.

Interrogée sur les réclamations qu'elle reçoit, la Défenseure des droits Claire Hédon a fait état de "difficultés d'accès aux droits et aux services publics, en ville comme à la campagne, qui minent la cohésion sociale".

La dématérialisation des démarches administratives a notamment éloigné un certain nombre de citoyens des services publics, ce qui représente 80% des réclamations reçues par ses services.

-Accès aux droits-

"On a des mères célibataires qui n'arrivent pas à faire valoir leurs droits à des minima sociaux, et qui sont contrôlées plusieurs fois parce qu'on les soupçonne de fraude", a-t-elle évoqué. Ou encore des cas de personnes "en France depuis 50 ans, qui se retrouvent en situation irrégulière parce qu'elles ne sont pas parvenues à avoir un rendez-vous en préfecture pour renouveler leur carte de séjour".

Pour tenter de remédier à ces difficultés, le maire EELV de Grenoble Eric Piolle, a pris l'exemple "d'équipes mobiles juridiques" de sa ville chargées d'aider les personnes sans abri et mal logées.

Catherine Vautrin (ex-LR), qui dirige la communauté urbaine du Grand Reims, a elle évoqué la "caravane de l'emploi" qui se rend au pied des immeubles des quartiers populaires de Reims pour mettre en relation les demandeurs d'emploi et les entreprises qui ont du mal à recruter, souvent dans le secteur de la santé, du BTP ou de la restauration. "C'est un travail de fourmi. Ce n'est pas parce qu'on est au pied des immeubles que les gens descendent", a-t-elle estimé.

Claire Hédon a également insisté sur les discriminations fondées sur l'origine "qu'on a du mal à quantifier" et qui ne donnent lieu à aucun recours judiciaire de la part des victimes. "Les personnes se disent qu'elles n'ont pas de preuves, que ça ne va servir à rien et c'est quelque chose qui mine la cohésion des sociétés", a-t-elle insisté.

Les débats ont également porté sur l'alliance entre territoires ruraux et urbains. "Nous avons plein de champs communs, comme la pauvreté, mais aussi les phénomènes de délinquance qu'on a aussi à la campagne", a estimé Eric Krezel, président des maires ruraux de la Marne. "Pour réussir la transition écologique, il va de toute façon falloir des alliances. Les villes ont besoin d'énergie mais c'est dans les campagnes que nous trouvons l'espace pour installer des parcs éoliens ou solaires".