Recherche et sûreté nucléaire: l'Etat veut réorganiser les instituts français

Le gouvernement a annoncé mercredi son intention de transférer les compétences de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) vers d'autres institutions, visant des "synergies" au moment où il souhaite relancer un programme nucléaire mais suscitant des craintes syndicales pour le maintien de l'indépendance de ces experts.

La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a demandé mercredi aux responsables de l'IRSN, de l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire, gendarme du secteur nucléaire civil, NDLR) et du CEA de lui proposer d'ici le 20 février de "premières mesures et une méthode de travail pour mettre en oeuvre ces orientations", indique son ministère.

Une "feuille de route plus détaillée" sera ensuite produite "en vue de la loi de finances 2024".

"Il a été décidé que les compétences techniques de l'IRSN seront réunies avec celles de l'ASN, en étant vigilant à prendre en compte les synergies, avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND)", a annoncé le ministère.

Cette mesure a été décidée lors du "Conseil de politique nucléaire" réuni le 3 février par Emmanuel Macron et qui a "pointé l'importance de conforter l'indépendance et les moyens de l'ASN", ajoute le communiqué.

Le directeur général de l'IRSN "a réuni l'ensemble du personnel pour annoncer la décision (...), rien n'avait filtré avant", a indiqué Philippe Bourachot, délégué syndical central CGT (majoritaire) de l'institut, qui a dénoncé une annonce "très brutale".

Selon le ministère, "cette évolution conduira à renforcer l'indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire, au sein d'un pôle unique et indépendant", et à "renforcer les compétences et fluidifier les processus d'examen technique et de prise de décision de l'ASN pour répondre au volume croissant d'activités lié à la relance de la filière nucléaire souhaitée par le gouvernement".

L'exécutif veut en outre "augmenter les synergies en matière de recherche et développement", et "garantir dans le temps, au sein de la nouvelle organisation, l'excellence des équipes".

Selon le ministère, "les conditions de travail et de rémunération des personnels de l'IRSN" seront préservées, et les moyens correspondant à l'exercice de ses missions maintenus.

Mais la CGT à l'IRSN exprime son scepticisme: "l'ASN est une autorité indépendante" mais ses décisions ne sont "pas seulement liées" à des considérations techniques, elles doivent "prendre en compte des enjeux politiques, financiers, d'intérêt stratégique de la nation, etc", souligne M. Bourachot.

Le représentant syndical craint que les experts de l'IRSN n'aient ainsi, à terme, à prendre en compte d'autres enjeux que ceux de la sûreté au sens strict: "il faut laisser un expert technique qui ne travaille que sur la technique, et après, les autorités jugent avec les enjeux qu'elles ont à prendre en compte".

Compte tenu de l'"attachement" des salariés de l'institut à ce système dual, avec "une autorité qui décide et un expert qui travaille en toute indépendance", M. Bourachot craint une "perte de compétences techniques", alors que l'IRSN est déjà confronté à des difficultés de recrutement en raison de la concurrence d'autres acteurs de la filière, qui proposent des salaires supérieurs.

Interrogé par l'AFP, l'IRSN n'a pas fait de commentaire.

Etablissement public créé en 2001 et héritier d'une lignée d'instituts, l'IRSN est la vigie scientifique française du risque radiologique. Revendiquant les valeurs d'"indépendance, connaissance, proximité", et doté de 1.700 salariés (chercheurs, chimistes, ingénieurs...), il compte parmi ses missions le suivi quotidien du niveau de la radioactivité en France, mais aussi à l'étranger, et apporte son expertise à l'ASN dans les dossiers concernant notamment le parc nucléaire de l'hexagone.