Peut-on concilier biodiversité et production de bois ? À Rambouillet, l'Office national des forêts (ONF) tord le cou aux idées reçues et raconte comment se construit une "gestion durable des forêts" face à la tempête silencieuse du changement climatique.
Le sentier est ponctué d'orchidées sauvages, sous l'ombre de chênes centenaires. À 50 mètres de la mare, le grandiose concert des grenouilles couvre tous les autres bruits de la forêt.
Cette mare, qui était pratiquement à sec en 2023 faute de pluie, a retrouvé son volume et toute sa vie: tritons et grenouilles y prolifèrent, "une libellule disparue depuis cinq ans est revenue", se réjouit Laurent Tillon, chargé de mission biodiversité à l'ONF.
Le gestionnaire des forêts publiques françaises (plus de 4 des 17,5 millions d'hectares en métropole) a lancé il y a deux ans un dispositif de surveillance de la biodiversité pour mieux comprendre l'évolution du milieu selon les modes de gestion et face à la violence du changement climatique. Notamment pour les arbres nés à la fin du "petit âge glaciaire", au 19e siècle.
Autour des mares de la réserve biologique, qui couvre 10% des 14.000 hectares de la forêt domaniale de Rambouillet, les chênes montrent des signes de faiblesse: l'un ne produit plus de feuilles, un autre perd des branches.
"Tous les arbres souffrent. Pourtant ici, aucun n'a connu la tronçonneuse", souligne Laurent Tillon. "Ce ne sont pas les coupes ou choix du sylviculteur qui affectent la biodiversité dans cette forêt, mais le changement climatique."
- Rongeurs -
"On pourrait avoir ici un problème de rongeurs", explique-t-il. Car un chêne éprouvé va "se dérégler". Il peut par exemple fructifier deux années de suite, au lieu de tous les trois à quatre ans: l'abondance de glands va nourrir des rongeurs dont les populations ne seront pas régulées par les périodes habituelles de disette, entre deux glandées.
Or trop de rongeurs "risquent de compromettre la régénérescence naturelle" de la chênaie: les glands mangés sont autant d'arbres qui ne verront jamais le jour.
Au-dessus des cimes tourne une buse: en plus grand nombre, le rapace pourrait être "un régulateur pour les rongeurs", relève Laurent Tillon. La forêt "souffre et résiste à la fois".
A quelques kilomètres à l'Est, la priorité est le renouvellement du peuplement de feuillus, "sous pression des attentes de la société".
"C'est parfois compliqué", explique Pierre-Emmanuel Savatte, directeur de l'agence Ile-de-France Ouest de l'ONF, qui gère Rambouillet.
Certains "veulent des chalets en bois mais qu'on ne touche pas aux arbres". D'autres trouvent la forêt "sale parce qu'il y a du bois mort": mais ces vieux troncs, laissés à dessein, "abritent 25% de la biodiversité en forêt", dit-il.
"En 2017, on a changé notre mode de gestion: on est passé de la futaie régulière, où tous les arbres ont le même âge et sont donc coupés en même temps, à la futaie irrégulière, avec des âges et gabarits différents", détaille-t-il.
- "Hymne à la diversification" -
Cela permet d'éviter les "coupes rases" qui choquent les visiteurs. Mais cela n'est pas forcément plus vertueux pour la biodiversité: selon une étude réalisée en Bourgogne, relate Laurent Tillon, jusqu'à 120 espèces d'oiseaux ont été répertoriées dans un massif où des parcelles étaient gérées en futaie régulière, contre 75 espèces pour la futaie irrégulière.
À Rambouillet, la récolte annuelle de bois (30.000 m3 par an en moyenne, soit une surface équivalente à moins de 7% du massif) "n'a pas augmenté depuis 25 ans", relève Pierre-Emmanuel Savatte, soulignant en revanche l'augmentation des bois morts ou dépérissants, qui représentent aujourd'hui 26% de la récolte en forêt publique, contre 7% avant 2000.
"Notre gestion, c'est un hymne à la diversification" des essences et aussi des techniques de gestion, défend-il.
Chaque milieu invite à une réponse spécifique. Dans une vieille parcelle de chênes, l'ONF lutte contre les fougères, qui empêchent les jeunes pousses de prendre la relève; dans un paysage de landes au sol sableux, les agents vont tenter de limiter la reconquête des résineux.
"On pourrait décider de ne rien faire, mais on verrait alors disparaître un milieu ouvert", favorable à l'alouette ou la mésange huppée.