Produits biosourcés: quand l'agriculture verdit la chimie

Exit pétrole et plastique, bonjour oreillers garnis d'épeautre, rouges à lèvres habillés de pelures de pomme et lunettes en coquilles d'huître: les composants biosourcés issus de l'agriculture tentent de verdir la chimie française depuis plusieurs années et investissent des champs du quotidien toujours plus inattendus.

Ils représentent un chiffre d'affaires compris entre 8 et 12 milliards d'euros par an en France, selon des chiffres publiés en 2016 par France Chimie et la Direction générale des entreprises.

"Je me suis dit: +si on arrive à faire un shampooing à base d'algues, pourquoi on n'arriverait pas à faire une peinture à base d'algues", raconte ainsi à l'AFP Lionel Bouillon, PDG de la startup bretonne Algo, créée au printemps 2015 et qui produit des peintures à base d'algues.

Souhaitant "s'affranchir du pétrole et réaliser un produit issu de matières premières naturelles et renouvelables", M. Bouillon a recours à des algues provenant principalement de la mer d'Iroise, et qui étaient déjà collectées et valorisées partiellement pour la cosmétique et l'agroalimentaire.

"Il restait un coproduit, qui n'était pas valorisé et qu'on valorise désormais", explique-t-il: ce "squelette de l'algue" est déshydraté et transformé en poudre, incorporé dans la peinture à laquelle il apporte notamment ses propriétés gélifiante et d'opacité.

Si les premières gammes de peintures étaient réservées à l'intérieur des bâtiments, M. Bouillon vient de déposer un nouveau brevet de peinture enrichie de carbonate de calcium issu de coquille Saint-Jacques, qui la rend utilisable en façade, grâce à une meilleur résistance aux intempéries.

"Ces coquilles, triées et lavées pour le secteur agroalimentaire, finissaient en déchet pour 80%", explique M. Bouillon, dont la peinture décore une petite exposition au salon de l'agriculture mettant à l'honneur ces objets qui réduisent, voire éliminent, la part de produits issus du pétrole dans la chimie.

- Une crise du coronavirus salutaire? -

Cette exposition met notamment en lumière le fait qu'"environ 11% des matières premières utilisées par l'industrie de la chimie en France sont déjà d'origine végétale", selon le ministère de l'Agriculture.

Certains secteurs progressent toutefois plus lentement que d'autres, à en croire un autre entrepreneur mis à l'honneur au salon.

Ainsi, dans le secteur très fermé du rouge à lèvres, "75% du marché sont détenus par cinq grandes marques qui depuis les années 1980, 1990, apogée de la chimie de synthèse, n'ont pas changé leur formulation", affirme Salem Ghezaili, président de la marque bio et végane "Le rouge français", une jeune pousse d'un an et demi.

Il utilise pour ses rouges des pigments issus des végétaux: garance de Poitou-Charente, châtaigne de Corse notamment. Le tube est habillé d'un "rebut de l'agriculture", de la peau de pomme retravaillée pour en faire un simili-cuir.

Les avantages des produits biosourcés, plus durables, sont nombreux, selon Emilie Machefaux, cheffe adjointe du service forêt, alimentation et bioéconomie de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Elle évoque par exemple le "stockage de carbone atmosphérique" pour des matériaux employés dans le bâtiment, l'"allègement permettant de diminuer certaines consommations à fort impact" dans l'automobile, ou "la diminution de la toxicité" des molécules employées dans les produits de maquillage ou de décoration.

Parmi les principaux freins pouvant expliquer le lent développement des produits biosourcés: des prix de production plus importants, en raison de "procédés industriels qui n'ont pas la même maturité technologique que ceux associés au pétrole", selon Mme Machefaux.

Le prix du pétrole peut également jouer, selon elle, et faire pencher la balance de son côté s'il s'écroule comme il le fait ces jours-ci en raison de la propagation de l'épidémie virale hors de Chine.

"On est sur du long terme. Même si les prix du pétrole baissent, ça pollue et il y en a de moins en moins, il faut expérimenter de nouveaux processus de production", veut croire Emery Jacquillat, président de la Camif, qui propose notamment des oreillers garnis d'épeautre ou de millet. "Cette crise du coronavirus peut avoir le mérite de nous faire réfléchir un peu plus aux produits qu'on achète et de favoriser le local."