"Le prix du lait doit monter. Pas pour permettre aux agriculteurs de gagner plus, mais pour pouvoir produire autant": devant ses vaches, contraintes d'enfouir leurs mufles dans le fourrage d'hiver plutôt que l'herbe desséchée par un été caniculaire, Gilles Durlin s'inquiète pour l'avenir de sa ferme.
Sous une étable ouverte aux deux extrémités pour faciliter les courants d'air, ses 80 prim'holstein profitent de l'ombre, alors qu'elles pourraient accéder librement à la pâture.
"Depuis début juin, il n'y a plus d'herbe et on nourrit intégralement le troupeau avec le fourrage récolté l'année dernière", initialement destiné à traverser l'hiver, déplore l'éleveur.
La situation est d'autant plus problématique que la récolte de plantes fourragères s'annonce cette année deux fois moins importante que d'habitude.
"Je vais devoir acheter 8 à 10 hectares de maïs supplémentaires. Les fourrages sont au double des prix de l'année dernière", constate-t-il.
Si les finances ne suivent pas, "des vaches seront vendues parce qu'elles ne pourront pas être nourries", avertit l'éleveur, dont la famille exploite cette ferme de Richebourg (Pas-de-Calais) depuis quatre générations.
Il aimerait obtenir de la laiterie Danone, qu'il fournit, 50 euros supplémentaire par tonne de lait.
- "C'est pas l'Everest" -
Avec d'autres éleveurs du Nord et du Pas-de-Calais étranglés par la sécheresse et l'inflation, Gilles Durlin a participé jeudi à des actions pour exiger un prix d'achat couvrant la hausse des charges, comme l'exige normalement la loi de la part des transformateurs et des supermarchés.
Dans l'Intermarché de Sainte-Catherine (Pas-de-Calais), ils traquent le lait à moins d'un euro le litre et le fromage à moins de 6 euros/kg.
Le lait est dans les clous --par anticipation de leur action, pensent-ils-- mais pas tous les fromages, qui se retrouvent affublés d'autocollants dénonçant un "prix qui va faire disparaître l'élevage laitier".
Dans la région, le prix d'achat du lait atteint "péniblement à 425 euros/1.000 litres", selon eux, contre plus de 500 euros en Europe du Nord.
Une augmentation d'un centime par pot de yaourt, "c'est quand même pas l'Everest", et cela rapporte 96 euros/1.000 litres au producteur, souligne Charles Inglard, le président de l'Association départementale des producteurs de lait (ADPL).
Reçus ensuite à la centrale logistique Intermarché d'Avion, les agriculteurs en ressortent avec la perspective d'une réunion avec les transformateurs et les distributeurs.
"Mais les industriels comme Danone ne viennent jamais à ce genre de rencontres", relativise M. Inglard.
Mercredi, Intermarché renvoyait, à l'échelle nationale, la balle dans le camp des industriels, assurant avoir "signé tous les accords tarifaires à la hausse avec la totalité des transformateurs", à une exception près.
"Il est maintenant de la responsabilité des transformateurs de rémunérer au mieux leurs producteurs agricoles", a insisté le distributeur.
- Système français -
"Les acteurs de la filière ont pris conscience de la situation exceptionnelle et réagi en rouvrant des négociations pour faire évoluer les prix", souligne Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste au Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière.
Mais le système français, où les prix alimentaires sont normalement négociés annuellement, reste plus rigide que dans certains pays voisins aux négociations mensuelles ou trimestrielles, qui permettent une répercussion plus rapide des coûts de production.
Dans les Hauts-de-France, région frontalière, une partie de la production est exportée vers la Belgique ou l'Allemagne, où le prix du lait a augmenté plus vite.
"Les Belges viennent faire leurs courses en France parce que leur caddie leur coûtera moins cher", rit jaune Charles Inglard, mais "les transformateurs de la région vont manquer de lait à court terme".
Dans ce contexte, les éleveurs s'inquiètent aussi pour la relève. Le nombre d'exploitations laitières de la région a été divisé par deux entre 2000 et 2020.
"On ne peut pas nous demander de commencer une carrière avec un lait à ce prix", soupire Clément Durlin, 27 ans, qui travaille avec son père.
Ce "passionné de vaches" déplore une rémunération devenue "insignifiante" quand elle est "ramenée au temps de travail".