Priorité à l'emploi ou à l'environnement ? Les syndicats tiraillés

La transition écologique est devenue un enjeu majeur pour les syndicats, mais cette priorité entre parfois en conflit avec l'impératif de sauvegarde des emplois, constatent experts et responsables syndicaux.

Pendant longtemps, les organisations syndicales étaient "prises dans un engrenage de la production" suivant la logique qui voulait que "pour maintenir l'emploi, il faut maintenir la production", a expliqué à l'AFP Camille Dupuy, chercheuse sur l'environnementalisme syndical au Centre d'études de l'emploi et du travail.

Des mobilisations "très localisées" sur des problèmes environnementaux pouvaient déjà exister, mais aujourd'hui, "la réflexion des organisations syndicales est beaucoup plus systémique", explique l'universitaire. "Il y a eu une très forte évolution ces quelques dernières années, plutôt à la tête des organisations syndicales, mais pas seulement".

Depuis un an, "c'est aussi lié au renouvellement à la tête de la CGT et de la CFDT, puisqu'à la fois Sophie Binet et Marylise Léon sont très sensibles à ces enjeux-là", dit-elle.

De son côté, le gouvernement se veut optimiste sur les effets de la transition écologique en matière d'emplois. Dans sa "stratégie emplois et compétences pour la planification écologique" publiée en février, il table sur 400.000 postes créés contre 250.000 détruits d'ici à 2030, avec toutefois des "reconfigurations profondes entre secteurs".

- "Rempli de contradictions" -

Les mutations ne sont pas toujours bien comprises sur le terrain. "On est rempli de contradictions sur les enjeux environnementaux", reconnaît Sébastien Menesplier, dirigeant de la CGT en charge des questions énergétiques.

En cas de menace de fermeture de site, "il y a plutôt une défense de l'emploi qu'une défense de la situation environnementale", constate-t-il.

"Ces contradictions, on arrive à les lever quand on a un accompagnement" avec une "anticipation", des "dispositifs d'aide" gouvernementaux, souligne le syndicaliste.

Lors de son dernier congrès en 2023, la CGT a été secouée par une crise qui l'a conduite à quitter le collectif "Plus jamais ça", formé avec des ONG dont Greenpeace et Attac.

La direction sortante était accusée d'avoir pris des décisions sans consulter la base. "Sur la filière nucléaire, il y a dans la CGT des débats contradictoires", relève notamment M. Menesplier.

"On ne réglera pas la question environnementale si on ne répond pas aux problématiques sociales", déclarait début février Sophie Binet.

"Les transformations qu'on va avoir à opérer ne pourront pas se faire" sans les travailleurs "ni contre eux", affirmait aussi Fabien Guimbretière, secrétaire national de la CFDT, lors d'un colloque en février.

- "Produire moins et mieux" -

Pour accompagner les transformations dans les entreprises, le premier syndicat français a signé l'an dernier, avec la CFTC et les trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P), un accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et au dialogue social.

Cet accord c'est "du +blabla+", avait critiqué Sophie Binet en juin dernier.

"C'est vrai que cet ANI n'apporte rien de plus de manière normative à la loi" mais "ça permet de brancher les bons sujets aux bons espaces de discussion", défend M. Guimbretière.

En octobre, l'industrie pharmaceutique a signé un premier accord de branche prenant appui sur cet ANI avec la CFDT, la CFTC, mais aussi FO et l'UNSA, avec à la clé l'obligation pour les entreprises de réaliser un bilan carbone de leur activité.

Les syndicats prennent leurs distances avec le discours productiviste. "Le premier enjeu de la transition écologique c'est la sobriété, décarboner ne suffit pas", estime M. Guimbretière.

"Pour effectuer la transformation écologique des entreprises, il va falloir produire moins et mieux", affirme aussi Anne Le Corre, une des responsables du Printemps écologique, un syndicat créé en 2020 qui revendique aujourd'hui d'être représentatif dans une soixantaine d'entreprises.

"Pour ça, il va nous falloir faire bifurquer progressivement l'économie, en démantelant progressivement les secteurs les plus polluants - l'industrie pétrochimique par exemple - tout en en développant d'autres: industrie du vélo, métiers du recyclage et du réemploi, métiers agricoles...", préconise-t-elle.

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