A 6H00 vendredi, la vie de centaines de milliers de riverains d'Orly va changer : pour eux, la réouverture de l'aéroport acte la fin des nuits tranquilles et de trois mois d'un "paradis" où les "chants d'oiseaux ont remplacé le chant des réacteurs".
Le 1er avril dernier, l'aéroport centenaire implanté au coeur du tissu urbain de l'agglomération parisienne a été mis au repos forcé, victime de l'effondrement du trafic aérien conséquence de la fermeture des frontières pour cause de Covid-19.
"On a soudainement découvert l'existence d'un cadre de vie qu'on ne supputait même pas", raconte Luc Offenstein, qui habite sous un couloir aérien à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne).
En temps normal, "c'est un avion toutes les trois minutes, 17h30 par jour, tous les jours de l'année", résume ce conducteur de RER retraité, président de l'association Oye 349, qui milite pour limiter les nuisances liées au trafic aérien.
Pendant près de trois mois, Luc Offenstein a "mangé tous les jours dehors, c'était extraordinaire". Et dormi au-delà de 06H02, l'heure à laquelle le premier vrombissement de la journée interrompt immanquablement sa nuit - contrairement à Roissy-Charles de Gaulle, Orly est soumis à un couvre-feu entre 23H30 et 06H00 en raison de la proximité de nombreuses habitations.
C'est dans les années 1990, avec la libéralisation du ciel et l'explosion du trafic aérien, que la vie dans le pavillon qu'il a construit en 1972 est devenue un calvaire : "On vit à l'intérieur, fenêtres fermées, on est obligé de pousser à fond le son de la télé... Tous les étés, je me dis +on va partir+".
Sandrine Felgines a elle aussi découvert le bonheur de la vie fenêtres ouvertes. Et constaté l'absence de "la couche de poussière noire" qui recouvre habituellement son mobilier de jardin, raison pour laquelle elle ne cultive pas de légumes.
"On ne s'imaginait pas vivre dans un endroit aussi exceptionnel", dit cette cadre dans l'immobilier bancaire de 51 ans qui habite un pavillon en lisière de forêt à Sucy-en-Brie. Il y a 20 ans, elle a quitté Paris avec mari et enfants pour un pavillon avec jardin dans cette commune très verte.
- "Avions électriques" -
"On savait pour les avions, mais il n'y en avait pas autant. Et puis ça permettait alors aux ménages d'avoir accès à des maisons moins chères. On vit avec", soupire-t-elle, évoquant les souvenirs de chorales de fête d'école interrompues au moment des survols d'avions.
Pendant le confinement, dans un silence absolu, cette passionnée de nature a entendu pour la première fois des bouvreuils pivoine et des loriots d'Europe piailler dans son jardin. "Le retour en arrière va être dur", lâche-t-elle.
Vendredi, seuls quelque 70 décollages et atterrissages auront lieu à Orly, bien loin des 600 à 650 habituels. Le trafic évoluera à partir de début juillet en fonction notamment de l'ouverture ou non des frontières vers les pays du Maghreb.
"On appréhende. Mais si c'est à doses homéopathiques, ce sera plus facile à vivre", dit Luc Offenstein. "On nous annonce 130 vols par jour pour cet été, si ça pouvait rester comme ça, ce serait le bonheur".
Quand il a appris la réouverture de l'aéroport, le militant a pris sa plume pour écrire à Emmanuel Macron et aux ministres des Transports et de la Santé. Dans cette lettre, il déplore "une très mauvaise nouvelle pour les 500.000 personnes qui vivent directement sur la trajectoire" des avions et regrette qu'il n'y ait eu "aucune concertation avec les associations pour repenser le trafic aérien sur de nouvelles bases".
Son association n'est pas "anti-avion", souligne-t-il, mais réclame des mesures protectrices : une heure supplémentaire de couvre-feu, limiter les gros porteurs et les avions les plus bruyants, passer de 250.000 à 200.000 rotations par an.
"Avec le réchauffement climatique, on ne peut pas continuer sur un mode pareil. Il faut arrêter les week-ends à Marrakech et privilégier le train", plaide-t-il, tout en se disant "optimiste".
En attendant, Sandrine Fergines rêve elle "d'avions électriques", "certainement pas pour demain, mais après-demain, qui sait?"