Post-partum: "Quand on devient mère, on cesse quasiment d'exister"

La période du post-partum est "un impensé de notre société" alors qu'on devrait la considérer comme "une question publique pour mieux l'accompagner", estime la sociologue Illana Weizman, qui a libéré la parole sur ce vécu commun à des millions de femmes, longtemps entouré de silence.

Ébranlement physique et psychique qui survient après l'accouchement et peut durer plusieurs mois, le post-partum "n'est jamais représenté et on n'en parle pas", dit à l'AFP cette Franco-Israélienne de 36 ans qui vient de publier "Ceci est mon post-partum" (Editions Marabout).

Il y a un an, cette doctorante en sociologie se fait connaître en lançant le mouvement #Monpostpartum sur les réseaux sociaux, après la censure sur une chaîne de télévision américaine avant la cérémonie des Oscars d'une publicité pour des produits Frida Mom, marque dédiée aux maux de cette période.

"On y voyait une femme avec un corps d'après accouchement qui va sur les toilettes, qui souffre, et on entend un bébé qui pleure. C'était réel mais il n'y avait rien de choquant, pas de sang, de parties génitales. J'ai réalisé que ce qui était censuré ce n'était pas les images, mais bien le post-partum", explique-t-elle.

De façon "très épidermique", elle poste alors deux photos d'elle sur les réseaux sociaux. Elle apparaît juste après son accouchement deux ans plus tôt le ventre gonflé, en slip jetable et grosse couche apparente.

Quelques jours plus tard, elle poursuit l'offensive sur Twitter avec trois amies militantes et récolte en 24 heures près de 15.000 témoignages.

"Il y avait des femmes qui avaient vécu ça il y a cinq, 10, même 15 ans, et qui n'avaient jamais parlé de leur souffrance. Tous ces messages, ça a fait l'effet d'une grosse thérapie collective émouvante", se souvient-elle.

Cette mère d'un garçonnet de trois ans replonge alors dans son propre vécu: "Je ne m'étais pas autorisée à parler. Pendant huit mois après la naissance de mon fils j'ai été la tête complètement sous l'eau, j'ai fini en dépression pendant quasiment un an".

En France, on estime que 10 à 20% des femmes sont touchées par la dépression post-partum. Le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle.

- Corps meurtri -

Pourquoi l'histoire s'arrête toujours au moment où le bébé est posé sur le ventre de sa mère ? Dans son essai, Illana Weizman tente d'analyser de façon historique et sociologique ce tabou.

"Le point central, c'est que cette expérience ne répond pas à l'idéal qu'on nous vend de la maternité, ce moment merveilleux d'épanouissement et du bonheur", décrypte-t-elle.

En outre, le corps "endolori, convalescent, débordant de fluides divers, ne répond plus aux normes de féminité, de minceur et il est ignoré", poursuit-elle, déplorant que "quand on devient mère, on cesse quasiment d'exister".

Si son discours a trouvé un large écho, il a aussi récolté des critiques acerbes, notamment de femmes qui reprochent à la trentenaire d'être "une chochotte qui se victimise".

"Bien sûr, nous ne sommes pas égales face au post-partum et aux difficultés de la charge parentale, mais il ne s'agit pas d'une question individuelle, elle est collective", défend-elle. "Si je n'ai pas parlé de ce que je vivais, même à mon mari, c'est parce que je n'avais aucun modèle auquel me raccrocher".

Dans son livre, elle plaide pour développer davantage le soutien à la sortie de la maternité en mettant en place un "accompagnement de proximité adapté aux besoins" pendant plusieurs mois, avec une période de "grande vigilance" les six premières semaines.

Elle cite l'exemple des Pays-Bas où une sage-femme vient à domicile tous les jours les 10 premiers jours du bébé, aidant aussi pour le ménage ou la cuisine.

"Cela peut paraître anodin mais c'est très important. Surtout que l'autre parent retourne travailler très rapidement la plupart du temps".