Une "revanche citoyenne"? La pétition sans précédent contre la loi Duplomb traduit un appétit des Français pour peser davantage sur les décisions politiques. Mais les dispositifs de démocratie participative accouchent souvent d'une souris, au risque d'alimenter les frustrations.
En une dizaine de jours, plus de 1,6 million de personnes ont signé une pétition sur le site de l'Assemblée nationale pour demander l'abrogation de cette loi, qui doit notamment réintroduire de manière dérogatoire un pesticide.
Et ce alors qu'aucun amendement de députés n'a pu être débattu dans l'hémicycle, le texte ayant été rejeté d'entrée par ... ses défenseurs. Une manoeuvre destinée à contourner l'"obstruction" de la gauche.
"C'est une hérésie de ne pas l'avoir débattu, je trouve ça inadmissible", s'offusque auprès de l'AFP l'une des signataires, Gally Vangeenberghe, vendeuse de 21 ans à Lille.
"Il y a bien sûr un aspect écolo derrière ma signature, mais il y a aussi beaucoup de frustration", confie une autre signataire, Elodie Germain. "Après la réforme des retraites, la dissolution, on a ici un nouvel exemple de passage en force au Parlement."
Pour cette chargée de communication de 46 ans, ces signatures incarnent une "revanche démocratique". Mais elle craint que la mobilisation ne débouche sur "pas grand-chose".
Quoique lancée par une simple étudiante, la pétition a été poussée par de nombreuses associations, qui ont incité leurs adhérents à signer.
C'est "à la fois la succession de reculs environnementaux et le procédé anti-démocratique qui ont mobilisé", selon Francois Veillerette, porte-parole de Générations Futures. "Cela fait des mois que les gens ont le sentiment de ne pas être écoutés."
- Outils "cadenassés" -
Mais pour l'instant, la seule conséquence directe de la pétition pourrait être l'organisation d'un débat à l'Assemblée, sans réexamen de la loi en tant que telle.
Ce débat, "personne n'a la moindre idée d'à quoi il va servir", tance Guillaume Gourgues, maître de conférences en sciences politiques à l'université Lyon 2, ayant lui-même signé la pétition. "C'est tout à fait anormal (...) qu'il n'y ait aucun débouché réel d'une mobilisation de cette ampleur".
Il rappelle que des mécanismes d'interpellation citoyenne existent ou se développent ailleurs, comme en Suisse, à Berlin, dans certains Etats américains... En Italie, 500.000 signatures suffisent pour organiser un référendum.
En France, un référendum d'initiative partagée (RIP) doit entre autres être soutenu par un dixième des électeurs, soit environ 4,8 millions. Infaisable, selon de nombreux experts.
Tous ces outils sont "cadenassés par des dispositions légales qui permettent de marginaliser leur influence sur les décisions", estime Guillaume Gourgues, spécialiste des questions de démocratie participative.
La pétition aura surtout permis à la gauche de maintenir la pression, plusieurs groupes promettant de présenter à la rentrée des propositions de loi pour abroger le texte agricole.
Mais selon les soutiens de la loi, comme le président du Sénat Gérard Larcher, les choses sont claires: "une pétition ne peut pas remettre en cause la démocratie représentative".
- Moment à saisir -
Pour le politologue Bruno Cautrès (CNRS), cette mobilisation doit être l'occasion de "poser un jalon supplémentaire" dans un questionnement récurrent: "Quels sont les outils qui nous manquent pour que la tuyauterie entre démocratie représentative et directe fonctionne mieux?".
Une nécessité de consensus accrue par la fragmentation actuelle de l'Assemblée, qui voit ses décisions contestées a posteriori, entre textes adoptés avec une majorité de bric et de broc, et multiplication des 49-3.
Conventions citoyennes, grand débat national... Emmanuel Macron a pourtant prôné ces dispositifs comme une nouvelle méthode.
François Bayrou lui-même avait dit souhaiter vouloir "reprendre l'étude des cahiers de doléances" issus des manifestations des "gilets jaunes" - qui avaient d'ailleurs débuté par une pétition réclamant la baisse du prix du carburant (environ 1,3 million de signatures sur Change.org).
Mais lors des annonces budgétaires du Premier ministre mi-juillet, "on n'a pas le sentiment que c'étaient les cahiers de doléances qui parlaient", relève M. Cautrès.
La convention citoyenne sur les temps de l'enfant vient elle d'être lancée dans une relative indifférence. Et pour nombre d'observateurs les conclusions des précédentes, notamment celle sur le climat, ont été largement négligées.
"Comment se fait-il qu'il y ait autant de moyens étatiques consacrés aujourd'hui à la participation citoyenne" mais "qu'on soit incapable de respecter une mobilisation de cette ampleur (sur la loi Duplomb) en lui donnant un débouché?", interroge Guillaume Gourgues, suggérant qu'"il est temps (...) d'avoir de vraies revendications en matière de démocratie."
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