Pétition contre la loi Duplomb: 1 million de signatures, et après ?

La pétition d'une étudiante contre la loi Duplomb a récolté en dix jours plus d'un million de signatures sur le site de l'Assemblée nationale, du jamais-vu. Que peut-il se passer maintenant ?

La constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina prédit, dans un entretien à l'AFP, "un véritable casse-tête chinois" où les groupes parlementaires, le président de la République, le Conseil constitutionnel et le juge administratif auront leur rôle à jouer.

- Un débat inédit à l'Assemblée ?

"La possibilité des pétitions en ligne date de 2019 et marque le signe d'une ouverture souhaitée de l'Assemblée aux débats citoyens. On est ici dans un exemple très concret de démocratie participative qui pourrait faire bouger des lignes.

Le cap symbolique des 500.000 signatures a été très largement franchi, la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale peut donc facilement, comme le prévoit son règlement, décider d'organiser un débat dans l'hémicycle.

Cela ne signifie pas que la loi sera réexaminée sur le fond, mais ce sera une première sous la Ve république et, vu la mobilisation citoyenne, il sera particulièrement scruté.

Le 8 juillet, cette loi a été adoptée par 316 voix pour, contre 223. Les députés pourraient-ils se dédire et estimer qu'il faut l'abroger - si toutefois elle a été promulguée entre-temps par le président de la République ? Rien n'est moins sûr.

Mais, si c'était le cas, cela donnerait des ailes aux groupes d'opposition, aux Ecologistes notamment, qui peuvent à n'importe quel moment déposer une proposition de loi incluant l'abrogation de la loi Duplomb et son article sur la réintroduction à titre dérogatoire du pesticide l'acétamipride. Tout sera alors remis en jeu."

- Le Conseil constitutionnel saisi

"Les députés de gauche ont déposé un recours le 11 juillet devant le Conseil constitutionnel, qui a un mois pour se prononcer.

Ils espèrent une censure notamment car la loi Duplomb a fait l'objet d'une motion de rejet préalable ce qui a empêché tout réel débat dans l'hémicycle.

Il est très peu probable que les Sages censurent pour vice de procédure: ils ont déjà jugé dans le passé que les motions de rejet, jugées "détournées" de leur esprit par les oppositions, n'étaient pas de leur ressort.

Dans leur recours, les députés de gauche estiment aussi que la réintroduction de l'acétamipride contrevient à deux principes constitutionnels : le principe de précaution, qui oblige à prévenir des dommages environnementaux graves même en cas d'incertitude scientifique, et le principe de non-régression, qui interdit de revenir en arrière sur les avancées en matière de protection de l'environnement.

Mais ils sont très généraux et leurs implications concrètes sont susceptibles d'interprétation par le législateur.

Il semble donc peu probable que la loi dans son ensemble soit censurée. En revanche, il y aura sans doute des réserves d'interprétation : les Sages vont demander des gages sur certains points précis."

- Retarder la promulgation ?

"Une fois, l'étape du Conseil Constitutionnel passée, le président de la République doit promulguer la loi. Mais il peut retarder cette promulgation et demander une seconde délibération au Parlement.

Le chef de l'Etat en tant que garant de la cohésion nationale pourrait choisir cette option vu qu'en l'espèce un nombre important de citoyens s'opposent à ce qui a été voté au Parlement."

- Une loi non applicable ? -

"La réintroduction de l'acétamipride supposera des décrets d'application. La loi prévoit simplement une clause de revoyure à l'issue d'une période de trois ans, pour s'assurer que les conditions d'utilisation sont toujours remplies.

On voit bien que le législateur marche sur des oeufs.

Les décrets d'application vont certainement faire l'objet de recours devant la justice administrative. Elle peut se prononcer sur le principe de précaution ou décider qu'il y a une inégalité de traitement entre les agriculteurs - par exemple entre ceux qui ont le droit d'utiliser le pesticide et ceux qui n'ont pas le droit. Tant que les décrets sont attaqués en justice, la loi n'est pas applicable."