Pesticides: la pollution des eaux "très sous-estimée" faute de surveillance, selon Générations Futures

La pollution des eaux en France est "très sous-estimée" car des dizaines de métabolites de pesticides, molécules issues de leur dégradation et potentiellement toxiques, ne font l'objet d'aucune surveillance, dénonce un rapport publié mardi par l'ONG Générations Futures.

"71% des métabolites de pesticides officiellement à risque de dépasser la norme pour l'eau potable que nous avons identifiés n'ont fait l'objet d'aucun suivi dans les eaux souterraines ou l'eau potable ces dernières années", a alerté mardi Pauline Cervan, toxicologue de l'ONG, lors d'une conférence de presse.

Générations Futures affirme avoir identifié 56 métabolites de pesticides n'ayant fait l'objet d'aucun suivi alors qu'ils risquent de contaminer les eaux souterraines à des concentrations supérieures à 0,1 ?g/l, soit la limite réglementaire, selon leur analyse de travaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

"La façon dont les Agences régionales de santé (ARS) sélectionnent les substances à suivre ne permet pas d'inclure de nouveaux métabolites dans les contrôles. C'est complètement incompréhensible et scandaleux", s'est indignée Pauline Cervan.

- Possible action en justice -

Les métabolites sont des molécules issues de la dégradation de substances chimiques, telles que les pesticides, qui peuvent se retrouver ensuite dans les sols, les eaux de surface et les eaux souterraines, avant de potentiellement contaminer les zones de captage d'eau potable.

"Parmi ces 56 métabolites non suivis, nous avons identifié 12 métabolites particulièrement à risque", affirme l'association, dont l'acide trifluoroacétique (TFA), une molécule très persistante déjà dans le viseur du Réseau européen d'action sur les pesticides (PAN Europe).

Le TFA est issu de la dégradation de certains "polluants éternels", les PFAS, des substances présentes dans des pesticides, des gaz réfrigérants, des revêtements anti-adhésif de poêles, des mousses anti-incendie ou des cosmétiques, et particulièrement dans les rejets des usines qui les produisent.

"Les conséquences d'une exposition chronique aux métabolites de pesticides présents dans l'eau potable sont largement inconnues", rappelle Générations Futures, qui dénonce régulièrement un déficit d'études sur la toxicité de ces molécules.

Même si les informations manquent pour déterminer avec certitude les niveaux de concentrations sans risque, les associations antipesticides rappellent que les molécules se cumulent dans l'eau et peuvent avoir un "effet cocktail".

Prétextant la publication de cette étude et mettant en avant les cas de cancers pédiatriques recensés dans la plaine agricole d'Aunis, le député écologiste Jean-Claude Raux (Loire-Atlantique) a interpellé mardi le gouvernement à l'Assemblée nationale.

"Pour respecter le principe de précaution, pour garantir une eau potable de qualité, pour la santé publique, soutiendrez-vous (...) ma proposition de loi pour interdire les pesticides sur les aires d'alimentation des captage d'eau ?", a-t-il demandé.

Sans répondre directement, Annie Genevard, ministre de l'Agriculture, a souligné le caractère "local" des études sur les cancers pédiatriques et a insisté sur la nécessité de mettre en regard leurs résultats avec "des études très approfondies conduites au niveau national".

"Afin de pouvoir déterminer les bonnes réponses, il faut savoir exactement de quoi l'on parle et établir précisément les liens de cause à effet", a-t-elle ajouté.

Générations Futures demande pour sa part "la mise en place rapide d'un plan d'action pour améliorer la surveillance des métabolites et relancer une politique ambitieuse de diminution de l'usage des pesticides en France", prévue par le plan Ecophyto du gouvernement, très décrié par les écologistes.

L'ONG est entrée dans une "phase de dialogue" avec les autorités publiques sur le sujet des métabolites à contrôler, mais n'exclut pas d'agir en justice en cas de réponse négative des ARS.

L'Anses, qui fournit aux autorités sanitaires les repères scientifiques utiles à la surveillance de la qualité de l'eau du robinet, relève sur son site que pour déterminer la pertinence d'un métabolite à surveiller, elle a établi en 2019 une méthode qui s'appuie notamment sur des critères de génotoxicité, de toxicité pour la reproduction, de cancérogénèse ou de perturbation endocrinienne.

Le classement d'un métabolite "est susceptible d'évoluer grâce à l'acquisition de nouvelles connaissances scientifiques", souligne l'organisme.