La loi agricole dite Duplomb, qui divise l'Assemblée sur la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes, arrive lundi dans l'hémicycle pour une première séance qui pourrait être la dernière : le bloc central espère contourner la multitude d'amendements déposés par les écologistes et insoumis en déposant une motion de rejet.
Près de 3.500 amendements (certains seront irrecevables ou retirés) et moins de deux heures de discussions ? C'est le scénario singulier que pourrait écrire en fin d'après-midi l'Assemblée nationale, scrutée par les agriculteurs. Des tracteurs sont stationnés aux abords du palais Bourbon depuis le début de la matinée, à l'appel des Jeunes Agriculteurs et de la FNSEA, pour défendre leur position sur les pesticides, le stockage de l'eau ou l'agrandissement des élevages.
"Vital" pour la FNSEA, premier syndicat agricole, le texte est "d'inspiration trumpienne", accuse la députée écologiste Delphine Batho, quand Aurélie Trouvé (LFI) dénonce dans Le Monde "une capitulation politique, celle de la bifurcation écologique".
Parmi leurs griefs : la réintroduction, à titre dérogatoire, de l'acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018. Ses effets chez l'humain font l'objet d'inquiétudes, même si ces risques restent incertains, par manque d'études d'ampleur.
Autorisé ailleurs en Europe, il est notamment réclamé par les filières de betterave ou de noisette, qui estiment n'avoir aucune autre solution contre les ravageurs. A contrario, les apiculteurs mettent en garde contre "un tueur d'abeilles".
- "Contraintes à l'exercice du métier" -
Écologistes et insoumis ont déposé une large majorité des amendements (près 1.500 pour les écologistes et 800 pour LFI), réfutant toute "obstruction".
"C'est un blocage en bonne et due forme" contre un texte "essentiel" pour les agriculteurs, réplique Julien Dive (LR).
Ajoutant au baroque, le député rapporteur de ce texte visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur" a lui-même déposé une motion de rejet, qu'il pourrait défendre à la tribune pour contourner le "mur d'amendements".
Le but de cette manoeuvre tactique ? Si la motion est adoptée en tout début de séance, le texte ne sera pas débattu à l'Assemblée, et sera directement envoyé en commission mixte paritaire (CMP). Cette instance, composée de sept sénateurs et sept députés, devra alors élaborer une version commune du texte, à huis clos.
Le président de la FNSEA Arnaud Rousseau a appelé "les parlementaires qui [les] soutiennent à voter cette motion de rejet".
A contrario, les contempteurs du texte espéreront que la motion échoue, et qu'il soit modifié dans l'hémicycle.
- Sujets clivants -
Le RN devrait voter pour : nos députés "feront tout pour que la loi Duplomb (...) soit adoptée !" a martelé Marine Le Pen lundi sur X, tout comme une bonne partie du bloc central.
Les inconnues résident dans l'affluence dans l'hémicycle et le nombre d'élus centristes qui pourraient voter contre la motion, échaudés par la réintroduction de néonicotinoïdes.
Cette stratégie est "la marque d'une fébrilité du camp gouvernemental. C'est une façon de contourner le vote parce qu'ils ont peur d'assumer leurs votes sur ce texte-là", dénonce auprès de l'AFP la cheffe du groupe écologiste Cyrielle Chatelain. Elle dénonce le fait que la CMP sera "à huis clos, sur des sujets majeurs pour la santé de nos agriculteurs".
Outre la motion de rejet, d'autres options sont sur la table, comme un retrait d'amendements ou un temps législatif programmé. Cette disposition prévue par le règlement de l'Assemblée permet de fixer un nombre d'heures maximal de débats, réparti entre les groupes en fonction de leur poids.
Une "conférence des présidents" de l'Assemblée se réunira à 15H00 pour discuter de la marche à suivre.
Si jamais le texte est rejeté dès lundi, la CMP repartirait de la version sénatoriale, favorisant les parlementaires de la chambre haute dans la négociation. Si la CMP trouve un accord, il devra encore être adopté par un dernier vote dans chaque chambre.
La version du texte adoptée à la chambre haute, à l'initiative du sénateur LR Laurent Duplomb, ne manque pas de sujets clivants, au-delà des pesticides, parmi lesquels le degré d'influence du gouvernement dans le travail de l'agence sanitaire Anses sur les autorisations de pesticides ou encore des dérogations environnementales pour certains projets de prélèvements et stockage d'eau.