Pesticides, élevage et eau: les points brûlants de la proposition de loi "Duplomb"

Réintroduction d'un pesticide, stockage de l'eau ou agrandissement des élevages: la proposition de loi destinée à "lever les contraintes" des agriculteurs portée par le sénateur Laurent Duplomb suscite des débats houleux, du champ à l'Assemblée: voici les points chauds du texte.

Celui-ci, censé clore l'épisode de colère des campagnes né à l'hiver 2024, a au contraire ravivé les clivages: le premier syndicat agricole FNSEA juge "vitale" son adoption pour donner "des moyens de production" aux exploitants, alors que la Confédération paysanne (3e syndicat) rejette des mesures "mortifères" pour le vivant et qui ne s'attaquent pas à "la question du revenu paysan".

- Réintroduction de l'acétamipride

La mesure la plus décriée du texte est la réintroduction dérogatoire de cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018 mais autorisé ailleurs en Europe jusqu'en 2033.

Cette disposition est réclamée par les producteurs de betteraves sucrières et de noisettes, qui affirment n'avoir aucune autre solution pour protéger efficacement leurs cultures.

La FNSEA, comme la Coordination rurale (2e syndicat), dénoncent une "concurrence déloyale" avec les autres producteurs européens et une "porte ouverte aux importations", notamment de noisettes produites avec des pesticides interdits en France.

Le retour des néonicotinoïdes, très toxiques pour les abeilles, est en revanche décrié par les défenseurs de l'environnement, les apiculteurs - qui ont vu leur production de miel s'effondrer après l'introduction de ces produits dans les années 1990 - et la Confédération paysanne.

La question divise jusque dans les rangs du gouvernement, où la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher est hostile à son retour, alors que les recherches d'autres solutions sont engagées.

- Le rôle de l'Anses

Le texte issu du Sénat prévoyait la possibilité pour le gouvernement d'imposer des "priorités" dans les travaux de l'agence sanitaire nationale, mandatée depuis 2015 pour évaluer la dangerosité des pesticides mais aussi autoriser ou non leur mise sur le marché.

La ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, avait proposé de créer un "comité d'orientation pour la protection des cultures", qui lui permettrait d'établir une "liste des usages prioritaires", laquelle devait être respectée par l'Anses.

Le directeur général de l'agence, Benoît Vallet, avait expliqué en mars aux élus que l'adoption du texte, en l'état, entraînerait sa démission. Elus de gauche comme scientifiques ont dénoncé une atteinte très grave à l'indépendance de l'Anses.

Divers amendements des députés ont supprimé l'imposition de "priorités" à l'Anses. Mais une motion de rejet du texte remettrait sur la table la version du Sénat.

- Irrigation et stockage -

Le texte initial visait à faciliter le stockage de l'eau pour l'irrigation des cultures, dans un contexte de raréfaction de la ressource liée au changement climatique.

Si tous les agriculteurs sont d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'agriculture possible sans eau, ils sont divisés sur la question des réserves, leur taille et leurs usages.

Plusieurs associations environnementales ont mis en garde contre "l'implantation de méga-bassines qui accaparent les ressources en eau au profit de l'agriculture intensive" et le risque d'une moindre protection des zones humides, "essentielles face aux inondations et sécheresses".

L'article phare concernant le stockage de l'eau a été supprimé en commission. Le gouvernement proposera de le réintroduire, promettant "un équilibre entre les enjeux environnementaux et les besoins de l'agriculture".

- Elevage intensif -

Le texte sénatorial propose de faciliter l'agrandissement des bâtiments d'élevage, au nom de la souveraineté alimentaire.

A partir de certains seuils, les élevages doivent être déclarés ou faire l'objet d'une autorisation pour les plus grands cheptels avec une procédure plus lourde à la clé.

Ces seuils sont alignés sur la directive européenne relative aux émissions industrielles. Les filières d'élevage et la FNSEA demandent à les aligner sur une autre directive, plus permissive. Un poulailler ne devrait ainsi demander une autorisation qu'à partir de 85.000 poulets contre 40.000. Une porcherie passerait de 2.000 à 3.000.

Les ONG de défense de l'environnement et la gauche dénoncent une mesure en faveur de l'élevage intensif qui ne répond pas à la crise car elle ne concernera qu'une petite minorité des éleveurs. La Confédération paysanne affirme que cela ne permettra pas de résoudre le problème du renouvellement des générations.

Affirmant qu'il est impossible juridiquement de relever les seuils existants, le gouvernement voudrait pouvoir légiférer par ordonnance et créer ainsi un régime spécifique aux élevages.