"On vit un peu comme des taupes", dit à l'AFP Nicole, 85 ans, pendant que son infirmier bande délicatement ses jambes enflées par la chaleur, dans l'air immobile et étouffant de son appartement aux rideaux tirés, au 20e étage d'une tour dans un quartier populaire parisien.
"Le soleil tape. Je ne mets pas le ventilateur: il fait du bruit, ça m'énerve. Comme je suis seule, je me balade un peu à poil dans la maison, ça m'arrange", glisse, le sourire espiègle, l'ancienne institutrice d'origine auvergnate, qui garde jour et nuit ses quatre couches de bandages.
"Sans eux, elle aurait plein de plaies ouvertes, c'est déjà arrivé", explique l'infirmier Christophe Piquard. Après avoir appliqué sur ses jambes une crème hydratante à la cortisone, pour "empêcher les inflammations liées à l'insuffisance veineuse", il prend sa tension.
Pendant la canicule, auxiliaires de vie, infirmiers et kinés, qui au quotidien enchaînent les visites auprès de personnes âgées souvent isolées, parfois diabétiques ou dialysées, s'assurent qu'elles s'hydratent suffisamment.
A Mauguio, près de Montpellier, Ghislaine Sicre, infirmière depuis près de 40 ans, peine à convaincre ses patients âgés de boire davantage.
"Ce qui est compliqué, c'est qu'ils ne ressentent pas la chaleur. Je leur dis de boire un verre toutes les heures, de fermer les volets, de mettre les ventilateurs, la clim... mais c'est très compliqué, il faut batailler", résume à l'AFP la présidente du syndicat Convergence Infirmière.
- "Petits studios", "gros soucis" -
Car l'état des personnes âgées peut vite se dégrader, constate le Dr Sébastien Chopin, responsable de SOS Médecins Brie-Sénart-Melun-Fontainebleau, en Seine-et-Marne.
"Ce matin tôt, je roulais vers mon lieu de travail quand j'ai vu une femme âgée qui marchait sur la Nationale 19, à un quart d'heure de marche de la ville... elle était désorientée, déshydratée", dit-il.
"Je me suis immédiatement garé sur le bas-côté et je l'ai recueillie dans ma voiture. J'ai réussi à trouver les coordonnées de son fils dans son téléphone portable, je l'ai contacté et j'ai déposé la dame au commissariat: elle ne savait plus où elle habitait", raconte-t-il.
Puis le médecin, chamboulé par cette rencontre, a entamé sa journée, émaillée de visites chez des patients âgés qui "n'appellent pas forcément pour ça mais souffrent de la chaleur": malgré les consignes de santé publique, "il n'y a ni eau ni clim, juste un petit ventilateur, rien n'est adapté".
A Nice, où la canicule sévit depuis des jours, Romain Hervé, infirmier depuis dix ans, file d'un patient à l'autre, "des collines jusqu'à l'hyper centre ville", "en short et en blouse" sur son scooter où il "crame".
Parmi ses patients âgés, il n'y a "pas de souci pour ceux qui vivent dans les villas climatisées avec piscine, mais de gros soucis pour ceux qui sont dans des petits studios non climatisés, plein sud, aux derniers étages", résume-t-il.
- "S'assurer que tout va bien" -
Avancer sa tournée à 6H30 pour avoir moins chaud ne le fait pas finir plus tôt, car les visites "demandent plus de temps: on prend les constantes, on vérifie s'il y a de l'eau... Mais c'est compliqué de boire pour les patients dont la protection (les couches, NDLR) sera pleine...".
"Je ferme les volets, je mets de l'eau à disposition, je regarde s'il y a des choses fraîches au frigo. Certains n'allument pas la climatisation parce que ça coûte cher...".
Lorsque la bouteille n'est pas bue de la journée, il faut alerter le médecin et parfois perfuser, comme l'a été une patiente de 93 ans avec "de gros signes de déshydratation, une perte d'appétit, de la somnolence, une grosse fatigue", dans son appartement plein sud, à plus de 30 degrés, dit l'infirmier.
"Beaucoup de personnes isolées ne voient que l'infirmier et l'auxiliaire de vie. Leurs proches prennent des nouvelles au téléphone, mais sans voir leur état physique...", ajoute-t-il.
Pour le Dr Chopin, "on ne sensibilise pas assez l'entourage immédiat" des personnes âgées isolées, et "ce n'est pas forcément sa grand-mère ou quelqu'un qu'on connaît depuis longtemps, mais on peut taper à la porte, s'assurer que tout va bien".
"Dans les périodes climatiques aiguës actuelles, aller vers les personnes âgées vulnérables doit devenir un geste citoyen", conclut-il.