Dans cet espace, la rédaction d’ID n’exerce pas de droit de regard sur les informations disponibles et ne saurait voir sa responsabilité engagée.
Info Partenaire

Interview de Deepshikha Singh, Head of Stewardship La Française AM

« Accompagner les entreprises dans leur transformation durable, depuis leur financement jusqu'à l'engagement actif. Tel est l'objectif de notre démarche. », Deepshikha Singh, Head of Stewardship La Française AM.

Comment s’exprime l’engagement au sein de La Française AM, filiale de gestion d’actifs du groupe La Française ?

Deepshikha Singh : En tant que responsable du stewardship et responsable adjointe de la recherche investissement durable mon rôle est de m’assurer de la mise en œuvre de nos orientations stratégiques, en lien avec les Responsables Durabilité Groupe et Investissement durable des actifs cotés, en matière d’actionnariat actif à savoir l’exercice du droit de vote en Assemblée générale pour les émetteurs cotés, les engagements individuels directs et engagements collectifs, enfin les exclusions liées à des controverses ESG, l’ensemble en lien avec l’intérêt de nos parties prenantes : investisseurs, actionnaire, société civile.

Nous réunissons un Comité de manière trimestrielle qui rassemble les représentants de différentes fonctions au sein de la gestion d’actifs afin de diffuser les travaux d’engagement effectués par l’équipe ESG. Notre objectif au travers de l’engagement est d’encourager de meilleures pratiques ESG, favoriser l’amélioration des résultats en matière de durabilité et d’inciter les émetteurs à plus de transparence.

Pour plus d’efficacité, nous privilégions l’engagement collectif et collaboratif en rejoignant des coalitions d’actionnaires ou initiatives pour accroitre notre impact auprès d’une ou plusieurs entreprises d’un même secteur. De manière sélective, nous agissons aussi individuellement auprès des émetteurs. Nous construisons ainsi des relations de confiance et entretenons des échanges directs actifs avec eux.

La Française AM (LFAM) se considère comme un partenaire des émetteurs en lien avec sa vision long terme de l’investissement. Notre conception de l’engagement repose sur un accompagnement dans la durée pour atteindre des objectifs de durabilité plutôt que de procéder à des désinvestissements bruts.

Nous sommes également activement engagés en matière de politique publique auprès des instances gouvernementales et décideurs politiques en soutenant notamment des lettres qui leur sont adressées ou en répondant aux consultations réglementaires publiques.

En 2022, nous avons accru nos engagements avec un nombre d’actions presque triplé. Nous avons mené 130 engagements dont 5 initiatives majeures de politique publique, près de 50 engagements collectifs via des coalitions d’investisseurs et près de 80 engagements directs auprès d’entreprises.

Nous nous engageons en priorité sur 4 thèmes : le changement climatique, le capital naturel, le capital social et la gouvernance/transparence. Historiquement engagé sur le changement climatique, nous avons élargi nos actions au capital naturel compte tenu des interdépendances existantes. En 2022, nous avions également étendus nos travaux sur le capital social autour de la santé, des droits humains et des inégalités salariales.

Quels sont parmi vos récents engagements ceux qui ont permis une avancée ?

D.S. : Nous avons eu quelques engagements intéressants au cours des 12 derniers mois.

Certains nous ont conduit à devoir escalader le processus d’engagement jusqu’au désinvestissement des portefeuilles les plus concernés ou à entamer la démarche de dépôt de résolution d’actionnaire de manière conjointe dans l’intérêt de nos clients et pour respecter nos politiques et principes d’investisseur durable et responsable.

En parallèle, d’autres, plus positivement, ont permis une amélioration de la transparence des émetteurs, notamment grâce au CDP Non-Disclosure Campaign que nous menons ou au Workforce Disclosure Initiative (WDI) dont nous sommes membres actifs.

Par la même occasion, nos engagements ont amélioré notre analyse ESG qui alimentent ensuite nos décisions d’investissements.

Arrêtons-nous sur 2 cas : Téléperformance et Nestlé.

Citons la société française Téléperformance spécialisée dans les services numériques aux entreprises. Déjà visée par la fédération syndicale internationale UNI Global sur les conditions de travail contraires aux libertés fondamentales et droits humains dans ses filiales situées en Asie et en Amérique du Sud ; c’est une information du Ministère colombien sur une nouvelle enquête concernant l’entreprise sur ses pratiques de travail non conformes aux normes, qui nous a alertés. Après un dialogue infructueux avec la société et malgré l’accord mondial signé avec le syndicat des industries de services d’UNI Global Union avec qui nous avions échangé pour mieux comprendre et évaluer les contours de cet accord, nous avons recommandé à notre gestion de sortir le titre Téléperformance des stratégies liées au capital humain en raison des controverses persistantes sur les conditions de travail dans certains pays. Nous maintenons toutefois un dialogue avec l’entreprise et le syndicat professionnel pour suivre au plus près le déploiement de l’accord en collaboration avec nos pairs.

Mentionnons également notre engagement auprès du groupe suisse Nestlé sur les sujets de santé publique. Nestlé a été sollicité, au même titre que 11 autres entreprises du secteur de la production et distribution alimentaire dans le cadre de l’initiative collective Long term Investors in People’s Health (LIPH) (1), via une lettre co-signée. Nous souhaitions que Nestlé s’engage à publier annuellement des objectifs quantitatifs d’investissements et de croissance des ventes de produits qualifiés de « sains » selon des profils nutritionnels reconnus et approuvés. A défaut de résultats, nous avons, avec le collectif LIPH, organisé 3 réunions d’informations en vain. D’une démarche formelle, le collectif a décidé de déposer une résolution d’actionnaire à l’occasion de l’Assemblée générale 2023 pour amener Nestlé à faire évoluer son modèle d’affaires. Après plusieurs échanges, Nestlé a accepté de s’engager à collaborer activement avec le collectif pour apporter des réponses à nos demandes sans que nous ayons eu besoin de déposer une résolution d’actionnaire. La coalition est engagée activement auprès de l'entreprise et souhaite poursuivre sa démarche eu égard aux résultats obtenus à ce jour. Aussi nous pourrions reconsidérer notre approche en vue de la saison 2024 des Assemblées générales d’actionnaires. Parce que nous privilégions dès que cela est possible le dialogue et l’accompagnement à l’exclusion, nous avons ainsi conservé les titres Nestlé dans nos portefeuilles. Nous considérons que tout changement initié par Nestlé aura un impact favorable sur l’ensemble du secteur.

Quels sont vos objectifs et ambitions dans les mois à venir ?

D.S. : En tant qu’investisseur responsable, l’engagement est un élément essentiel de notre démarche. C’est par l’engagement que les avancées en matière de durabilité sont possibles et c’est via nos actions que nous contribuons de manière concrète aux transformations durables et justes. Aussi, nous avons le devoir vis-à-vis de nos parties prenantes, de surveiller les entreprises dans lesquelles nous investissons sur toute la période de détention des titres.

Dans ce cadre, nous renforçons notre vigilance et souhaitons accélérer le rythme et la portée de nos engagements, aussi bien directs que collaboratifs, tant auprès des émetteurs qu’auprès des régulateurs et organismes de standards de place. Nous souhaitons également renforcer notre participation au sein des coalitions dont nous sommes membres pour une participation plus proactive.

Nous avons déjà diversifié nos engagements pour adresser de nouvelles problématiques comme la décarbonation des secteurs de la chimie et de l’exploitation minière, la santé mentale et le bien-être et les droits humains dans la chaîne logistique. Nous avons également accru notre engagement au sein des coalitions collectives telles que IIGCC (2), CDP, WDI and Finance for Biodiversity Foundation. En France, nous avons rejoint le groupe de travail sur la Taxonomie sociale du FIR (3) dont le travail a débuté en septembre dernier.

Le 13 décembre prochain, nous présenterons le guide « Unlocking Climate-Nature Nexus » (4) co-rédigé avec plusieurs institutions financières et la Fondation Finance for Biodiviserty traitant des interrelations existantes entre climat et biodiversité aux côtés des représentants de EU Business & Biodiversity, PRI et de l’UNEP-FI. Avec l’IIGCC BondHolder Stewardship Group, nous avons contribué à la réalisation d’un guide de bonnes pratiques en matière d’engagement pour les détenteurs d'obligations, guide qui devrait être publié en 2024.

Nous avons également mis en place en 2023 une politique de vote spécifique à LFAM qui intègre : réponse au questionnaire du CDP, objectifs climatiques fondés sur la SBTi, résolution « say on climate » pour certains des secteurs fortement émetteurs, publication de l’écart de rémunération entre le PDG et les employés, vote contre l’élection ou la réélection d’administrateurs hommes (à l’exception du PDG) lorsque le Conseil d’administration compte moins de 40% de femmes, et le nombre de mandats du Comité de Direction. En 2024, nous suivrons de prêt ces différents points de résolutions et envisagerons de nouveaux critères liés notamment à la biodiversité.

Enfin, en 2024, nous publierons l’ensemble de nos actions et résultats au sein d’un rapport de stewardship intégré afin de rendre compte de notre création de valeur par le biais de nos activités d’engagement, vote, etc. et présenter notre contribution dans le temps sur notre écosystème.

Pour conclure, votre mot de la fin ?

D.S. : Être un investisseur responsable ne se résume pas à l’intégration des enjeux ESG dans les choix d’investissements ou à la mise en place d’une politique d’exclusion. Notre responsabilité s’affirme aussi et surtout par les actions que nous menons – engagements auprès des entreprises émettrices, via des coalitions d’investisseurs, sur des sujets réglementaires ou de normes, et par nos votes en Assemblées générales d’actionnaires. C’est par nos engagements que nous apportons des changements systémiques qui permettront de contribuer le plus efficacement possible à un avenir durable.

L’engagement n’est pas un long fleuve tranquille. Un engagement sérieux et efficace nécessite d’être proactif et ne doit pas être un seul moyen de recours. Il doit être soutenu au plus haut niveau et nécessite une formalisation, précise et ferme pour avoir le plus de chance d’aboutir.

(1) LIPH a été créée pour se concentrer sur trois piliers de la santé dans les entreprises cibles : la santé du personnel pour promouvoir un lieu de travail sain ; la santé des consommateurs pour rendre les aliments et les boissons sains plus accessibles et plus abordables pour tous ; la santé des communautés pour limiter la pollution et les autres effets secondaires des activités des entreprises sur la santé humaine. LFAM a été parmi les premiers signataires de la coalition fin 2022.

(2) Institutional Investors Group on Climate Change: https://www.iigcc.org/

(3) Forum pour l’Investissement Responsable

(4) https://www.financeforbiodiversity.org/ffb-foundation-launches-biodiversity-climate-nexus-guide-ahead-of-ebns/

Retrouvez toutes nos actualités.

Contenu rédigé par La Française