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Se faire entendre ou sortir : utiliser l'engagement comme moteur de changement

Les investisseurs font souvent face à des pressions les poussant à céder leurs participations dans certaines entreprises. Pourtant, l'engagement peut être un moyen plus efficace d'introduire un changement positif, selon Steve Waygood.

L'économiste Albert Hirschman affirmait qu'il y avait deux façons de réagir à la déception : rester et se plaindre ou s'en aller. Il appelait ces deux options la « voix » ou la « sortie ». Un citoyen opprimé peut lancer une protestation ou émigrer vers un autre pays. Des clients mécontents peuvent demander à être remboursés ou tout simplement aller faire leurs courses ailleurs.

Le même dilemme s'applique à des investisseurs soucieux d'éthique. Si les actionnaires d’une entreprise découvrent qu'elle pollue l'environnement ou qu'elle maltraite son personnel, doivent-ils s'exprimer ou tout simplement désinvestir ?

Se désengager de sociétés qui enfreignent les règles éthiques est souvent l'option la plus confortable et peut même servir la réputation. Pourtant, une fois sortis, les investisseurs ne peuvent plus faire pression sur la direction de l'entreprise. Ils peuvent être remplacés par des actionnaires moins consciencieux et plus enclins à détourner leur regard tant que les bénéfices continuent à tomber. Comme Hirschman l'a observé, si s'en aller peut être plus facile et peut soulager sa conscience, c'est un choix qui tend à installer le statut quo.

Steve Waygood, directeur de l’investissement Responsable chez Aviva Investors, affirme que les investisseurs devraient se faire entendre avant de se désengager. Dans cet entretien, il explique comment les actionnaires peuvent s'engager auprès des entreprises pour améliorer leurs pratiques, ce que les investisseurs peuvent faire pour s'assurer que les gérants d'actifs mettent la pression là où il faut, et donne des exemples d'engagements qui ont abouti à des changements positifs. 

Pourquoi l'engagement est une meilleure approche que le désinvestissement?

L'engagement n'est pas qu'un terme générique. On retrouve la notion à l'origine du droit des sociétés qui a fait des actionnaires les premiers régulateurs du comportement de l'entreprise. Les investisseurs modernes devraient appréhender leur responsabilité dans ce sens. Ils ont un devoir moral d'agir lorsqu'ils ont le pouvoir de faire appliquer des standards généralement acceptés. Cela implique souvent de rester pour instaurer un dialogue et exercer des pressions lorsque nécessaire. C'est aussi une façon de protéger la valeur actionnariale à long terme.

Céder ses parts peut sembler une solution bien plus simple dans bien des cas. Vendre peut soulager la conscience de l'investisseur et lui valoir les louanges de ceux qui conduisent des campagnes de désinvestissement. Mais la vraie question est de savoir ce qui va en découler en termes de changement ? Imaginez que vous êtes un dirigeant d'une société minière dont le manque de sérieux au niveau des règles de sécurité conduit à des accidents mortels du personnel. Vous subissez de vives critiques des investisseurs et vous pourriez être exclu du conseil par un vote lors de l'assemblée générale suivante. Votre vie serait-elle facilitée ou compliquée si ces investisseurs préoccupés vous laissaient le champ libre ? Je dirais qu'elle en serait considérablement facilitée.

Comment les investisseurs peuvent-ils s'assurer d'être écoutés ?

Les investisseurs en actions ont toute une palette d'outils à leur disposition. Ils ont le pouvoir de congédier l'équipe dirigeante d'une entreprise en Assemblée Générale . Ils peuvent utiliser leur droit de vote contre les stratégies qui ne leur conviennent pas. Ils peuvent aussi voter contre les commissaires aux comptes s'ils craignent que le rapport et les comptes de l'entreprise ne soient pas dûment contrôlés ou ne représentent pas de manière réelle les risques financiers et réputationnels auxquels l'entreprise fait face du fait du manque d'éthique de ses pratiques.

Les actionnaires peuvent s’allier pour avoir plus d'influence. Un engagement collaboratif peut être particulièrement utile lorsqu'il s'agit de s’opposer au comportement des géants de l'énergie, par exemple, coutumiers de la résistance aux pressions des campagnes environnementales.

Certains prétendent qu'il faut abandonner les investissements dans les énergies fossiles parce que c'est le modèle économique même qui est remis en question, davantage que les cas isolés de mauvaises pratiques. Comment leur répondre ?

Il est vrai que l'activité des entreprises présentes dans ce secteur menace l'avenir de la planète entière. Mais l'engagement n'en est que plus important à nos yeux au vu de la taille des enjeux.

Si on ne réduit pas les émissions de CO2, les températures pourraient grimper de 6  degrés à l'échelle de la planète d'ici 2100. Sur la base des cours actuels, les dommages associés pourraient détruire quelque 43000 milliards de dollars US à la valeur des marchés financiers.1 Il est difficile d'envisager une telle catastrophe. Sans engagement de grands investisseurs puissants auprès des pouvoirs publics, la pression pourrait ne pas être suffisante pour corriger la défaillance des marchés. Sans engagement dans les entreprises, les acteurs du secteur de l’énergie pourraient tout simplement continuer à consommer les énergies fossiles et à mener leurs propres activités de lobbying pour s'assurer que les décideurs politiques les laissent agir à leur guise.

Par une action coordonnée pour mettre la pression sur les dirigeants, les investisseurs peuvent pousser ces entreprises vers des sources d'énergie plus durables. Une telle transition est dans l'intérêt de tous, y compris des entreprises elles-mêmes puisqu'à un certain stade l'extraction des réserves d'hydrocarbures encore disponibles ne sera économiquement plus viable.

Pourriez-vous donner un exemple d'engagement réussi  dans le secteur de l'énergie ?

Prenons les mesures récentes prises par Exxon Mobil pour améliorer son approche du reporting climat. Nous nous sommes engagés auprès d'Exxon depuis plus d'une décennie sur cette question en votant contre les membres du conseil au sujet de leur position sur le changement climatique. Exxon comptait parmi les géants pétroliers les plus réticents aux initiatives liées au changement climatique mais une étape très importante a été franchie lors de l'Assemblée Générale de l'entreprise en 2017.

En effet, Church Commissioners, organisation en charge de la gestion des actifs de l'Église d'Angleterre, ont conduit une proposition des actionnaires réclamant à Exxon la publication d'une évaluation annuelle des effets à long terme des accords internationaux sur le climat sur leur portefeuille. Aviva Investors et d'autres actionnaires ont soutenu cette proposition et la pression de ces investisseurs a ainsi commencé à porter ses fruits. Le reporting de l'entreprise couvre désormais l'évaluation de l'impact d'une hausse des températures dans le monde sur ses opérations, de même que de la sensibilité de son portefeuille à différents scénarios d'offre et de la demande comme la croissance des véhicules électriques par exemple.

Cet exemple montre que l'engagement peut prendre beaucoup de temps, d'où l'importance pour les investisseurs de s'engager aussi auprès des pouvoirs publics pour que leurs mesures incitatives soient bien structurées et favorisent un comportement positif des entreprises.

Au-delà de l'information, quelle différence peut faire l'engagement dans les secteurs climato-sensibles ?

L'engagement peut aussi servir à une réduction des émissions sous-jacentes.

A titre d'exemple, la multinationale italienne Enel dans l'électricité s'est engagée à ne plus jamais construire une station au charbon à la suite de notre engagement. Lors du lancement de son programme dédié aux énergies renouvelables, son PDG Francesco Starace a déclaré qu'il était « évident que les énergies renouvelables étaient en passe de gagner la bataille de la compétitivité par rapport aux combustibles fossiles et au nucléaire. C'est un état de fait, ce n'est plus à discuter. » Ainsi, la centrale au charbon inaugurée en 2016 au Chili sera la dernière d'Enel. La société ne consacrera également plus d'investissements dans le nucléaire. La moitié des investissements de croissance d'Enel dans les 5 ans à venir, d'un montant de 18 milliards GBP, reviendront à l'énergie solaire et éolienne qui représentent actuellement tout juste 7% de l'électricité produite.

Nous avons de la même façon demandé à Glow Energy en Thaïlande un engagement public à abandonner tout nouveau projet lié au charbon. La société a annoncé quelques mois plus tard qu'aucune nouvelle centrale au charbon ne serait ajoutée à ses unités de production. Au total, 5 des 40 sociétés intervenant dans le domaine des énergies fossiles auprès desquelles nous sommes investis  se sont engagées à atteindre des objectifs scientifiquement quantifiés (dans la lignée des accords de Paris sur le changement climatique notamment) de réduction de leurs émissions. Origin Energy a par exemple été la première société australienne à voir reconnus ses objectifs scientifiques d'émissions par l'initiative internationale We Mean, qui conduit une action favorable à un engagement collaboratif sur ces questions.

L'engagement des investisseurs peut-il avoir des retombées positives dans d'autres secteurs ?

L'engagement peut être l'arme des investisseurs pour des sujets plus larges comme la gouvernance d'entreprise. Prenons l'exemple de Samsung Electronics en Corée du Sud. La société a été impliquée dans plusieurs affaires polémiques ces dernières années, liées à l'exercice d'influences politiques abusives et au détournement de fonds.

Mais Samsung a dernièrement annoncé des réformes importantes dont la nomination d'administrateurs internationaux indépendants et la séparation des fonctions de président et de directeur général. Samsung a également révélé que son taux de distribution de dividendes allait être largement augmenté, ce qui était un point de désaccord de longue date entre la famille qui contrôle l'entreprise et les minoritaires. Il reste encore beaucoup à faire mais ces changements soulignent les efforts qu’Aviva Investors et les autres actionnaires de long terme ont consacré à l’engagement auprès de l'entreprise à travers les années.

Que peuvent faire les investisseurs institutionnels pour s'assurer d'inciter les entreprises à corriger leurs comportements ?

Il est important d'avoir une procédure clairement établie pour identifier les entreprises en portefeuille qui peuvent poser problème et s'assurer de la proactivité des gérants de fonds pour s'atteler aux problèmes en question. L'une des façons de s'assurer que ceux-ci intègrent l'engagement dans leur champ de responsabilité est d'en tenir compte dans la structure de rémunération. Une sanction est-elle prévue en cas d'échec du plan d'engagement ? Une rétribution est-elle en place dans le cas contraire et si des changements sont mis en œuvre ?

Que doivent faire les investisseurs si les changements qu'ils réclament tardent à venir ?

Tous les investisseurs ne font pas le poids nécessaire pour qu'une société modifie son comportement et les entreprises refusent parfois de modifier leurs pratiques en dépit des protestations des investisseurs.

L'engagement peut échouer et il arrive alors un moment où la seule position possible est la sortie.

Lorsqu'un engagement persistant et concerté n'a pas donné de résultat, il devient temps d'envisager de liquider l'investissement. Par exemple, en 2017 Aviva a désinvesti de la société japonaise J Power, active dans le secteur du charbon, car nous ne constations aucune avancée sur une série de sujets importants malgré tous nos efforts. Nous pensons que les investisseurs doivent se faire entendre pour favoriser le changement avant d'envisager une sortie . Cela permet d’accélérer le changement.

1 Recherche de The Economist Intelligence Unit (EIU), sur commande d'Aviva Investors.