Les Nations unies ont averti que nous approchions du « point de non-retour sur le changement climatique » et les scientifiques le décrivent comme une « menace existentielle pour l'humanité ». Et pourtant, le manque de réactivité des gouvernements et de nombreuses entités du secteur privé, notamment certaines des plus grandes institutions financières qui essaient tardivement de redorer leur blason, menace d’engendrer l'échec le plus catastrophique de l'histoire du capitalisme de marché.
Le changement climatique est à l'origine de la plus grande mutation du monde de l’investissement que j'ai pu observer en 35 ans de carrière. Mais si les sociétés de gestion doivent jouer un rôle majeur dans la réponse à cette crise, elles devront adopter une approche plus radicale et plus énergique.
Nos clients, en particulier la prochaine génération qui va commencer à gagner sa vie, et ceux qui remplaceront ma génération dans le domaine de la gestion d’actifs, considèrent de plus en plus le changement climatique comme la plus grande menace mondiale. Nous devons réagir d'une manière qui soit à la fois pragmatique, authentique, avisée et radicale. Autrement dit, il faut lancer des actions plutôt que de faire des excuses, et viser des résultats concrets plutôt que d’afficher intentions. Dans le cas contraire, la réputation des entreprises, leur activité et leur capacité à attirer des talents seront sérieusement remises en cause.
Pour que les mesures prises aient un véritable impact, nous devons comprendre les problèmes et convenir d’objectifs communs. Les risques liés à la hausse des températures sont désormais bien connus : extinctions de masse, migrations de masse, inondations et dégâts environnementaux. Compte tenu des conséquences, les investisseurs ne peuvent pas se permettre d’attendre que les États réagissent. Nous devons redéployer dès maintenant les capitaux pour trouver des solutions et circonscrire les risques.
Le modèle le plus évident pour trouver des solutions est l'Accord de Paris de 2015, qui vise à contenir le réchauffement climatique durant le siècle en cours bien en deçà de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre les efforts visant à limiter encore davantage la hausse des températures à 1,5°C. Les investisseurs devraient admettre que nous sommes actuellement loin de ces niveaux : les entreprises du FTSE 100, par exemple, sont en passe de contribuer à une hausse des températures de 3,9 degrés Celsius.
Notre priorité est de faire pression sur les entreprises et les États pour mettre en œuvre des politiques qui permettront d’atteindre les objectifs fixés. Nous devons mener des actions directes et visibles pour exprimer nos opinions et communiquer nos positions aux clients.
Dans le cadre de nos investissements en actions, si nous voulons obtenir une réaction positive de la part des entreprises, il sera essentiel de combiner l’expertise climatique de notre équipe d’investissement responsable avec les connaissances de nos gérants de portefeuille sur les mécanismes financiers, les secteurs et les entreprises. Nous avons certes été dès 2001 l'une des premières sociétés de gestion à intégrer les facteurs de durabilité, y compris le changement climatique, dans notre politique de vote, mais notre mode d’engagement doit évoluer. Cette activité sera désormais pilotée par notre équipe Actions, avec l’aide des membres de l’équipe Investissement responsable.
Plutôt que de nouer un dialogue essentiellement avec les conseils d'administration afin d’inscrire le changement climatique à l'ordre du jour des entreprises, nous engagerons des discussions avec les directeurs généraux, les directeurs financiers et leurs équipes de direction. Si nous voulons que les entreprises composant nos portefeuilles prennent les mesures nécessaires en matière de dépenses d'investissement, d'innovation et de repositionnement d’actifs, nous devons communiquer avec leur direction générale et les tenir directement responsables de leurs actions.
C’est pourquoi nous allons faire figurer le climat parmi les principales thématiques à l’occasion du millier d’initiatives d’engagements que nous menons avec les entreprises chaque année. Nous aborderons la question du climat à chaque rencontre, en insistant auprès des entreprises sur la nécessité d’adopter des objectifs issus de recherches scientifiques. De nombreuses entreprises se fixent des objectifs de réduction des émissions et d’autres mesures environnementales, mais nous ne nous contentons plus d’annonces symboliques depuis bien longtemps.
Nous voulons savoir si les ambitions et les objectifs d'une entreprise sont suffisamment ambitieux pour avoir l’impact nécessaire face à l'urgence climatique. En recourant à des objectifs scientifiques, qui peuvent être vérifiés de manière indépendante, il est possible de déterminer dans quelle mesure et à quelle vitesse les entreprises doivent réduire leurs émissions de carbone pour respecter les objectifs de Paris.
Celles n’y parvenant pas en subiront les conséquences. Nous voterons contre les administrateurs des entreprises appartenant à des secteurs ayant un impact fort et moyen et qui ne sont pas à la hauteur des questions climatiques, et aussi contre ceux impliqués dans l’initiative Climate Action 100+ mais qui ne se sont pas fixé d’objectifs reposant sur des preuves scientifiques.1 La réaction de ces entreprises cette année déterminera nos décisions en 2021. Même si nous avons toujours privilégié le dialogue à la cession directe de nos investissements, nous n’hésiterons pas quitter le capital des entreprises restant qui ne réagissent pas.
Climate Action 100+ est une initiative menée par des investisseurs visant à contraindre les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de la planète à prendre des mesures face au changement climatique.
En tant que société adepte de la gestion active, nous abordons évidemment ce thème par un angle spécifique. Pour qu’une approche d’engagement telle que la nôtre fonctionne, il convient d’avoir l’expertise climatique, les ressources et l’influence nécessaires sur les dirigeants d’entreprise. Les gérants passifs n’ont pas les moyens de respecter ces conditions préalables. Ils répliquent des indices qui ne sont que des algorithmes du passé, faisant la part belle à des modèles économiques existants et faisant fi de l’impact gigantesque du changement climatique sur l’avenir des entreprises.
Bien souvent, les gérants passifs détiennent des dizaines de milliers de participations mais ont des moyens d’analyse limités. Leur « engagement » n’est donc que très superficiel. Ils ne sont pas familiers avec la réalité quotidienne des entreprises et n’ont pas les moyens nécessaires pour évaluer la crédibilité des mesures qu’elles prennent. C’est d’ailleurs ce que montre leur historique de vote décevant à l’occasion des résolutions d’actionnaires sur les questions climatiques. Par conséquent, rien ne pousse vraiment les entreprises à nouer un dialogue avec les gérants passifs sur ces sujets.
Le changement climatique a complètement changé la donne. Au-delà des performances financières, les objectifs d'investissement doivent désormais inclure des valeurs et des actions « responsables ». Nous devons réagir en menant des actions différentes et en prenant des mesures radicales lorsque les entreprises dans lesquelles nous investissons en sont incapables. Nous ne pouvons pas faire preuve de passivité face au changement climatique. Nous devons nous montrer actifs.
Par David Cumming