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ESG et actifs réels : une question d’équilibre

Évaluer les risques ESG des investissements dans les actifs réels n’est pas une mince affaire. Au travers de cinq études de cas, Mark Versey et Stanley Kwong illustrent l’équilibre des facteurs de risque ESG qui influence les décisions d’investissement, au-delà du simple fait d’essayer d’être « vert » .

Investir dans les actifs réels exige de la patience, d'autant que le capital sera immobilisé pendant une période importante. Comme nous l'avons évoqué dans notre récent livre blanc intitulé The Role of Real Assets in Creating a Sustainable Future,[1], les projets peuvent avoir des effets aussi vastes que divers sur la société et l'environnement. Pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'Organisation des Nations Unies, les actifs réels joueront un rôle essentiel. Les investissements dans les marchés émergents et frontières seront tout aussi importants, en dépit des risques majeurs qu'ils peuvent présenter sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Toutefois, il n’est pas facile d’intégrer les considérations ESG dans les décisions d’investissement en actifs réels. Cela suppose une approche différente de celle utilisée pour les actifs cotés comme les actions et les obligations, pour lesquels il y a davantage d'informations disponibles. De même, l'engagement ne fonctionne pas de la même manière qu'avec une entreprise cotée en bourse car les investissements dans les actifs réels impliquent généralement plusieurs parties prenantes pour un projet donné.

L'éventail des opportunités d'investissement est également très large : par exemple, un projet d'aménagement immobilier ne présente pas les mêmes enjeux ESG qu'un projet d'infrastructure. Même au sein d'une classe d'actifs donnée, la balance entre les impacts ESG positifs et négatifs peut être très différente d'un investissement à l'autre. Il est donc important de mener une évaluation ESG adaptée à chaque transaction pour mettre en évidence la capacité de chaque investissement à faciliter ou à compliquer la réalisation des ODD.

Compte tenu de cette complexité, les investisseurs doivent adopter une approche équilibrée au cas par cas, en soupesant les principaux avantages et inconvénients pour voir de quel côté penche la balance. Les études de cas suivantes montrent bien à quel point il est essentiel de déterminer le bilan ESG d'un projet lorsque l'on prend une décision d'investissement et de veiller à ce que ce bilan reste positif pendant toute la durée de l'investissement.

La performance financière anticipée de ces investissements demeure notre principale préoccupation. Dans les exemples donnés ci-après, l'analyse financière n’est pas évoquée mais nous n'avons retenu que des cas dont le bilan financier était positif et dont les caractéristiques ESG ont grandement influencé nos décisions d'investissement.

1. Projet d’aménagement immobilier à St John’s, Manchester, Royaume-Uni

Jongler entre le potentiel de renouvellement urbain et le risque d’exclusion sociale lié à la gentrification. Bilan ESG : positif

Ce projet consiste à réaménager des immeubles existants en un complexe incluant des appartements, des bureaux et un studio cinématographique. À première vue, ce projet est indiscutablement positif d'un point de vue ESG. Il est susceptible de re-dynamiser le quartier, de créer des emplois, d'englober des entreprises de nouvelles technologies et d'améliorer la qualité de vie dans le quartier. Cependant, avec les facteurs ESG, il faut toujours creuser davantage.

D’un point de vue environnemental, ce projet a reçu une excellente évaluation BREEAM, ce qui nous a donné la confiance dont nous avions besoin.

Du point de vue de la gouvernance, nous avons procédé aux due diligence sur les parties prenantes au projet, depuis les sous-traitants jusqu’aux futurs locataires.

Par exemple, nous avons examiné la future entreprise locataire sous différents angles :

  • Sa culture d'organisation, pour nous assurer qu'elle traite ses employés de manière équitable et respectueuse et n’est pas concernée par le type de controverses qui ont éclaboussé certaines entreprises technologiques ;
  • Des gages en matière de diversité et d'inclusion (plus de 50% de son personnel au niveau mondial et 38% des membres de son conseil d'administration sont des femmes) ;
  • Notre notation ESG interne, qui n’a pas signalé de problème.

Cependant, la dimension la plus pertinente pour un tel projet est celle de son impact social. Parfois, même si les parties impliquées sont animées des meilleures intentions, un projet de renouvellement urbain peut bouleverser un quartier. Un exemple caractéristique et pertinent concernant ce projet, est celui de la « gentrification » (embourgeoisement), qui peut accentuer les inégalités. Si au niveau local et plus large, le projet est perçu comme créant un fossé économique et divisant les communautés, il peut finalement avoir un impact négatif sur la croissance à plus long terme et sur l’investissement dans le quartier.

Cette dimension était particulièrement importante à Manchester. En effet, son économie enregistre un taux de croissance impressionnant [2] mais elle compte parmi les villes les plus pauvres d’Angleterre.[3] En outre, malgré la prospérité de son économie locale et sa capacité à retenir les diplômés locaux (69% selon l’édition 2018 du rapport du conseil municipal de Manchester sur la situation de la ville), Manchester demeure un bastion traditionnel de l’industrie, 31% des répondants se réclamant de la classe ouvrière lors du dernier recensement. Il était donc essentiel d'évaluer si des emplois seraient créés grâce au réaménagement, mais aussi qui en profiterait.

L'emploi et l'inclusion, ainsi que l'acceptation par la collectivité et le public en général, ont donc été identifiés comme les deux facteurs ESG les plus importants à prendre en compte. En termes d'emploi et d'inclusion, l’opération de réaménagement a eu des effets très positifs et l’entreprise locataire a donné de solides gages en matière d’inclusion au travail. Nous devons désormais nous assurer que le quartier restera un pôle d'entreprises véritablement divers car de nombreuses opérations de réaménagement de cette nature se traduisent généralement par une solide implantation des entreprises au fil du temps. Cela souligne l'importance d'un suivi permanent des facteurs ESG.

S'agissant de l'acceptation par la collectivité et le public en général, nous avons demandé des assurances concernant le maintien de l'héritage local et de la mixité des locataires. Enfin, comme il s'agissait de l'ancien emplacement des studios d'enregistrement de Coronation Street, il s'agissait également d'un site historique. Il était donc essentiel de conserver et de rénover la façade originale.

Après cette analyse des garanties du projet en matière d'ESG, nous avons tranché en faveur du réaménagement. En effet, comme cet investissement était de nature à contribuer à la réduction des inégalités, à créer des opportunités diverses et à favoriser une régénération inclusive du quartier, nous avons estimé que son bilan ESG était positif.

2. Usine de valorisation des déchets, Hooton, Royaume-Uni

Concilier les objectifs nationaux de réduction des émissions et l’acceptation par les riverains. Bilan ESG : positif

Cet investissement en fonds propres dans les infrastructures financera la construction d'une usine de valorisation des déchets, leur combustion servant à produire de l'énergie. Les avantages de ce projet semblaient évidents d'un point de vue ESG en conciliant la réduction des déchets enfouis et des émissions de CO2 et la création d'emplois au niveau local. Mais là encore, la situation n'était pas aussi simple.

Après avoir examiné les états de service des diverses parties prenantes, il est apparu que la gouvernance n'aurait sans doute pas un impact important : de rigoureuses procédures d’audit préalable avaient été mises en place pour s'assurer du respect de la directive européenne sur les émissions industrielles et toutes les parties prenantes essentielles avaient mis en place des mesures draconiennes d'hygiène et de sécurité au travail. D'autre part, même si les arguments environnementaux étaient convaincants en apparence, les avantages globaux de cette technologie donnent toujours lieu à d'intenses débats. Voici quelques-uns des principaux risques qu'il nous a fallu évaluer :

  • Les énergies renouvelables sont en plein essor, la valorisation énergétique des déchets sera-t-elle un jour considérée comme négative par rapport à des énergies encore plus propres comme l'éolien et le solaire ?

Une étude a révélé que malgré les émissions liées à la combustion des déchets pour produire de l'électricité, l'usine permettrait de réduire les émissions de CO2 de 82 000 tonnes par an par rapport à celles d'un centre d'enfouissement des déchets, en empêchant la décomposition aérobie des déchets tout en produisant de l'énergie. En outre, les centres d'enfouissement technique situés en Angleterre devraient arriver à saturation en 2022. Ce type d'alternative répond donc à une nécessité évidente. Il convient d'envisager cette centrale comme un site de traitement des déchets offrant une alternative à l'enfouissement des déchets, plutôt que comme un simple fournisseur d'énergie.

  • D'où proviendront les déchets dans un premier temps, et à l'avenir ? S'ils proviennent de centaines de kilomètres à la ronde, cela réduira grandement l'impact positif de la centrale sur les émissions de CO2.

Hooton Bio Power sera alimentée par les déchets provenant des alentours et consommera 240 000 tonnes de combustibles issus des déchets par an, grâce à un accord d'approvisionnement sur une durée de 15 ans conclu avec la collectivité locale. Par conséquent, le surcroît d'émissions liées au transport des déchets vers la centrale sera minime.

  • Quel est le véritable impact environnemental de la centrale ? Cette dernière ne risque-t-elle pas de retirer les matériaux de l'économie circulaire et d'aboutir à l'incinération superflue de matériaux recyclables ?

Il s'agira du premier projet en Europe à recourir à la technologie de gazéification développée par l'entreprise japonaise Kobelco Eco Solutions, qui lui permettra de traiter les déchets issus des poubelles d'ordures ménagères. Nous avons effectué des vérifications sur la provenance des déchets afin de nous assurer que la matière incinérée était initialement destinée à l'enfouissement.

Dans ce projet, la dimension sociale était également importante. Lorsque l'on analyse l'impact ESG des énergies renouvelables, on se focalise volontiers sur leurs effets positifs aux niveaux national et mondial, tout en ignorant les perturbations qu'elles peuvent engendrer localement, ce qui peut entraîner le rejet et l’échec d'un projet. Un tel projet doit obtenir au préalable un « permis social d'exploitation ». Enfin, l'électricité produite grâce à la combustion des déchets peut libérer du CO2 dans l'atmosphère, avec des effets négatifs pour la santé des riverains.

L'usine était censée être implantée sur un site industriel existant, loin des habitations les plus proches mais également loin de toute zone présentant un intérêt scientifique spécial, ce qui permet de limiter les effets potentiellement néfastes des émissions sur la santé et l'environnement local. Par ailleurs, la centrale créerait des emplois au niveau local et les entreprises locales obtiendraient un tarif préférentiel sur l'électricité produite.

Même si nous avons identifié des risques ESG, notre analyse a mis en évidence un bilan positif. Ce projet d'énergies renouvelables est de nature à favoriser une croissance durable moyennant un coût minime pour l'environnement aux niveaux local et national, tout en prenant dûment en compte les communautés locales et l'impact social.

3. Refinancement d'une raffinerie de pétrole en Côte d'Ivoire

Concilier le potentiel de développement économique et social et la prévention des risques de corruption et d'émissions de CO2. Bilan ESG : positif

La transaction consistait à octroyer un prêt à une grande entreprise publique pour refinancer une dette contractée avec un taux d'intérêt élevé, les gains étant utilisés pour financer la modernisation d'une raffinerie de pétrole existante.

Dans le cadre des financements structurés, les transactions impliquent souvent d’investir dans des infrastructures existantes ou nouvelles pour contribuer au développement économique et social, ce qui est particulièrement important sur les marchés émergents et frontières. Cependant, très peu d’investisseurs sont prêts à se positionner directement sur ces marchés en raison de leurs faibles scores ESG et des inquiétudes en matière de transparence ou de corruption. La Côte d'Ivoire étant un marché frontière qui connaît des problèmes de corruption notoires, il était indispensable de mener une évaluation ESG rigoureuse.

Compte tenu de cette piètre réputation et du fait que la transaction visait à refinancer une raffinerie de pétrole, un veto pour des motifs ESG semblait évident. Cependant, notre analyse a mis en évidence l'intérêt de cet investissement (contrairement à l'étude de cas suivante sur une opération qui présentait un risque de crédit et une structure similaire, mais dont les paramètres ESG n'ont pas résisté à un examen minutieux).

Du point de vue de la gouvernance, la Côte d'Ivoire présente un risque pays élevé en raison de la corruption généralisée et d’un manque de transparence. Elle affiche un faible score dans l’indice de perception de la corruption 2018 (105e place sur 180 pays évalués [4], est classé « rouge » dans notre indice des territoires et présente un faible score dans notre modèle interne de notation ESG des émetteurs souverains. Toutefois, Transparency International a également constaté des progrès encourageants pour la Côte d'Ivoire, avec un score total de 35 points sur 100 en 2018, contre 27 sur 100 en 2013.

L’amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption ont été érigées au rang de priorité par le président ivoirien. Le gouvernement ivoirien fait également des efforts pour respecter les normes internationales, dont l’Initiative pour la transparence dans les industries d'extraction (EITI). Dans l’ensemble, la position de la Côte d'Ivoire dans l’indice de perception de la corruption s’est nettement améliorée ces dernières années.

Les autres risques majeurs en matière de gouvernance ont trait à l’utilisation des fonds, qui reste à la discrétion du gouvernement ivoirien même si ce dernier a indiqué qu’ils seraient destinés à la raffinerie de pétrole. Toutefois, la transaction comportait de solides mécanismes de surveillance. Un grand cabinet d’audit et plusieurs banques internationales se portant garants de l’affectation des fonds aux fins prévues.

Les impacts environnementaux de la transaction étaient également plus bénéfiques qu’au premier abord. Non seulement la Côte d'Ivoire respecterait les règles de l’EITI, mais les gains tirés du refinancement seraient affectés à améliorer l’efficacité opérationnelle d'une raffinerie existante, et non à la construction d'une nouvelle raffinerie. Dans l’ensemble, l’investissement permettra au pays de réduire ses émissions de CO2, ainsi que sa dépendance énergétique envers d’autres pays.

C’est l’impact social de ce projet qui a fait pencher la balance ESG en sa faveur. En plus de créer des emplois au niveau local, il s’inscrivait dans le cadre du Plan de Développement National du gouvernement ivoirien, qui vise à améliorer l’économie intérieure et à réduire ses importations d’énergie. Par ailleurs, il est cohérent avec les Objectifs de Développement Durable (ODD).

Dans ce cas précis, dresser le bilan ESG en tenant compte aussi bien des aspects positifs que des aspects négatifs est une démarche qui prend toute sa valeur. Une analyse ESG rigoureuse qui prend en compte les facteurs complexes peut faire toute la différence. Par exemple, il est essentiel d'évaluer dans la durée les améliorations et les engagements futurs pour encourager les réformes positives dans les pays en développement. Les projets comme celui-ci peuvent avoir un impact profond sur le développement social d'un pays. Sans l'analyse ESG approfondie qui a permis de mettre en évidence des facteurs extrêmement positifs, l'équipe d'investissement n'aurait pas donné suite à la transaction.

4. Un financement structuré en Europe de l'Est

Jongler entre la possible amélioration de la gouvernance institutionnelle et, d’autre part, le risque d'instabilité politique et la corruption. Bilan ESG : négatif

Cette transaction avait pour objectif de financer des réformes institutionnelles fondées sur les politiques publiques afin d'améliorer la gouvernance dans un marché émergent très risqué d'Europe de l'Est.

Comme nous l'avons évoqué précédemment, son profil de risque de crédit, les garanties sous-jacentes et la structure de la transaction étaient tout à fait similaires à ceux du projet en Côte d'Ivoire. Et à première vue, il y avait également des objectifs similaires d'amélioration des normes ESG. À l’instar du projet en Côte d'Ivoire, ce prêt pouvait également sembler être un investissement pertinent et cohérent avec les ODD. Cependant, notre analyse ESG est parvenue à une conclusion très différente.

Compte tenu des objectifs énoncés du prêt, les impacts environnementaux n'étaient guère importants et il n'y avait pas non plus d'amélioration sociale significative à attendre, en dehors des effets indirects de l'amélioration des normes de gouvernance.

Les risques importants dans ce cas avaient trait à la gouvernance. Le pays en question est un marché émergent très risqué, qui connaît une situation politique instable et souffre d'une corruption généralisée. Dans la mesure où la création d'institutions de gouvernance solides est essentielle au développement durable et à la croissance, nous étions disposés à contribuer à l'atteinte des objectifs fixés par la banque de développement en servant d'intermédiaire pour négocier les modalités de financement. Toutefois, le processus d'audit préalable a mis en évidence un manque de transparence et de traçabilité du financement. Il y avait également un manque de clarté quant aux mesures permettant de dissocier les fonds du budget général de l’État, et il n'y avait pas de mécanisme de surveillance officiel. Étant donné le manque de contrôle financier adéquat, nous redoutions que l'argent soit utilisé par inadvertance à d'autres fins telles que la répression politique et sociale.

Dans le cas présent, le bilan ESG était négatif et nous avons décliné cette opportunité.
 

5. Deux projets d'infrastructure de stockage de pétrole et de gaz au Royaume-Uni

Tenir compte des besoins d'infrastructure mais aussi des risques environnementaux dans deux projets similaires. Bilan ESG : positif pour l’un, négatif pour l'autre

Il s'agissait de deux transactions similaires visant à financer la construction de deux sites de stockage et de distribution de pétrole et de gaz au Royaume-Uni, ces deux projets s'annonçant tout aussi rentables.

Le facteur gouvernance n'était pas important, pas plus que le facteur social mais les deux projets présentaient un risque élevé sur le plan environnemental. Par rapport au projet en Côte d'Ivoire, celui-ci s'inscrit beaucoup mieux dans le cadre de la transition vers une économie décarbonée. Par conséquent, les critères environnementaux pertinents ne sont pas les mêmes. Étant donné les efforts actuels du Royaume-Uni en matière de réduction des émissions de CO2 et la popularité grandissante des énergies renouvelables, le secteur pétro-gazier a un fort impact sur les enjeux ESG.

Le Royaume-Uni s'est fixé comme objectif de réduire à néant ses émissions nettes de CO2 à l'horizon 2050, ce qui implique de cueillir d’abord les fruits à portée de main, en d'autres termes, de privilégier les options permettant de réduire le plus facilement les émissions. Cela suscite des questions quant à la pérennité à long terme des projets liés aux combustibles fossiles.

En examinant les détails de ces deux transactions, nous avons identifié des différences essentielles à cet égard. L'un des sites de stockage était uniquement destiné aux combustibles fossiles traditionnels, sans possibilité d'être consacré à d'autres utilisations. En revanche, l'autre site contenait essentiellement du kérosène. Il est vrai que ce dernier n’est pas écologique mais, à l'heure actuelle, il n'existe pas d'alternative viable sur le plan commercial au kérosène (même si les ingénieurs planchent actuellement sur l'avion électrique), d'où un risque de transition nettement plus faible que pour le carburant « classique ». Le risque que ces actifs deviennent obsolètes au cours de notre horizon d'investissement était faible. En outre, le stockage de biocarburants sur ce deuxième site était envisageable, ce qui atténuait encore le risque de transition.

Notre analyse a mis en évidence un bilan ESG négatif pour le premier projet et positif pour le second et nous avons pris nos décisions d'investissement en conséquence.

Règles d’engagement

L'engagement des investisseurs sur les enjeux ESG des actifs réels est très différent de l’engagement pour les actifs liquides, et ce en raison de plusieurs facteurs :

  •  La nature de l’investissement signifie que les investisseurs apportent un financement à un projet ou octroient un prêt d’une durée spécifique pendant laquelle ils devront obtenir des garanties ESG et constater des améliorations.
  • En général, les bénéficiaires des fonds ne sont pas des entreprises cotées mais il peut s’agir d’entreprises publiques ou privées, qui ne s’engageront pas de la même manière que des entreprises cotées très en vue.
  • Le nombre d'investisseurs est nettement plus faible que le nombre d'actionnaires dans une entreprise cotée. Par conséquent, chaque investisseur a davantage de responsabilités pour ce qui est d'obtenir des résultats positifs.

Par exemple, nous avons investi dans des titres de dette non cotés émis par une entreprise logistique familiale qui, à l'époque, ne disposait pas d'un cadre pour évaluer les risques ESG. Nous avons interpellé les dirigeants de l'entreprise sur ce point, ce qui les a amenés depuis à prendre en considération les enjeux ESG et à embaucher un directeur du développement durable. Nous entretenons toujours un dialogue actif avec cette entreprise et lui donnons des conseils sur la façon d'améliorer encore ses pratiques ESG.

Identifier les enjeux importants qui font pencher la balance ESG

Il est primordial de rechercher et d'identifier comment les facteurs ESG peuvent affecter les investissements dans des actifs réels tout au long de leur cycle de vie : depuis le montage jusqu'à l'établissement des rapports, en passant par l’audit préalable, l'approbation de l'investissement et la gestion des actifs. Pour prendre une décision d'investissement réellement éclairée, les investisseurs ne peuvent pas se contenter d’examiner les points négatifs : il convient également de prendre en compte les points positifs, comme la contribution d'un projet aux ODD.

Pour comprendre où se situent les principaux enjeux ESG et comment déterminer au mieux le bilan ESG, les investisseurs ont intérêt à définir un cadre spécifique pour chaque type d'investissement dans des actifs réels. Une politique ESG commune peut également leur permettre de suivre une approche cohérente et des principes communs pour veiller à ce que les enjeux ESG soient pris en compte tout au long du processus d'investissement. Enfin, les investisseurs peuvent s'appuyer sur les données relatives aux risques d'un secteur en particulier tirées de la recherche ESG sur des actifs liquides potentiellement pertinents.

Si l'on se contente d’une approche « top down » pour réfléchir aux enjeux ESG et si l'on se focalise uniquement sur les risques, on peut passer à côté d'éléments déterminants tout en accordant une importance excessive à des enjeux accessoires, avec à la clé une érosion graduelle de la confiance dans l'analyse ESG. En définitive, les investisseurs doivent analyser chaque opportunité en profondeur pour déterminer si son bilan ESG est positif ou négatif.

Nous avons pu constater que deux projets cohérents avec les ODD dans les pays en développement peuvent sembler tout à fait similaires du point de vue de leurs objectifs et de leur profil de risque de crédit. Et pourtant, leurs spécificités et les garanties données peuvent aboutir à des résultats différents. Le financement d'un projet pétro-gazier peut avoir un bilan ESG positif dans un pays en développement comme la Côte d'Ivoire, mais négatif au Royaume-Uni étant donné le niveau d'avancement différent de ces deux pays dans la transition vers une économie décarbonée. Pour prendre les bonnes décisions, il est essentiel de comprendre ce qui fait pencher la balance.